Pages

12 juin 2024

La réalisation de la stratégie du « cercle de feu » de Qassem Soleimani, par le Col. (ret.) Jacques Neriah

La guerre de Gaza en est maintenant à son huitième mois, et il semble qu'il n'y ait pas de fin dans un avenir prévisible. 

Col. (ret.) Jacques Neriah 

La proposition qu'Israël a présentée comme base de négociation d'un accord relatif à la libération des otages détenus par le Hamas a été accueillie froidement par celui-ci, ce qui signifie qu'à l'heure actuelle, les chances de parvenir à un accord entre Israël et le Hamas sont quasiment inexistantes. De plus, selon le ministre Benny Gantz, membre actuel du cabinet de guerre israélien (*), le pire reste à venir sur le front nord face au Hezbollah.

Pour la première fois depuis sa création en 1948, Israël est confronté à sept fronts de combat actifs chorégraphiés par son protecteur iranien et destinés à l’anéantir en tant qu'État juif sioniste : Le Liban, la Syrie, l'Irak, l'Iran, la Cisjordanie (Judée et Samarie), Gaza et les Houthis au Yémen. Cette unité de fronts destinée à étouffer Israël était la vision du « Cercle de feu » de Qassem Suleimani, le commandant assassiné de la Force Quds au sein du CGRI. Peu sérieuse à l'époque, elle est aujourd'hui devenue une coalition unie dont l'objectif est de soutenir le Hamas dans son effort de guerre contre Israël sous forme de guerre d'usure, entraînant Israël dans une guerre sans fin qu'il ne pourrait pas soutenir à long terme, militairement, politiquement et économiquement.

Face à ce front combiné, Israël a fixé ses priorités dès le premier jour : éradiquer le Hamas et libérer les otages, contenir le front de Judée et Samarie et adopter un déploiement défensif avec des capacités offensives pour faire face au Hezbollah. Les fronts iranien, irakien et houthi ont été mis de côté par Israël et confiés aux capacités d'interception de la coalition navale américaine.

Huit mois plus tard, aucun des objectifs d'Israël n'a été atteint :

Le Hamas n'a pas été anéanti, même s'il a subi un coup dur. Ses cadres moyens ont été décapités, mais ses cadres supérieurs respirent encore ; vingt de ses vingt-quatre bataillons ont été démantelés et la plupart de ses infrastructures militaires ont été détruites. Selon le président américain Joe Biden, le Hamas a subi des pertes importantes qui l'empêchent de répéter des attaques contre Israël comme celle du 7 octobre 2023. D'autre part, les forces de défense israéliennes n'ont pas détruit tout le réseau de tunnels du Hamas et, jour après jour, les troupes israéliennes à Gaza ne cessent de découvrir de nouveaux tunnels, dont certains relient Gaza à la péninsule du Sinaï, contrôlée par l'Égypte.

Le Hamas a prouvé sa résilience. Sa guerre asymétrique, de type guérilla, lui a permis de récupérer et de s'imposer sur presque tous les territoires qu'Israël a capturés et dont il s'est retiré dans la bande de Gaza. Le Hamas est encouragé par la tendance pro-palestinienne de l'opinion mondiale, les protestations aux États-Unis et en Europe, les positions des tribunaux internationaux accusant Israël de mener une campagne génocidaire et la reconnaissance par de nombreux pays européens du statut d'État palestinien.

Le prix à payer pour éviter la confrontation

Israël paie le prix d'erreurs stratégiques à long terme. Au cours des 18 dernières années, tous les gouvernements israéliens et les chefs de l'armée ont choisi d'acheter la paix en « nourrissant la bête » : Israël pensait pouvoir contenir la colère du Hamas et du Hezbollah et les manipuler. Le Hamas et le Hezbollah, qu'Israël croyait « dissuadés », ont passé ce temps précieux à se préparer à la confrontation militaire avec Israël. Celui-ci a choisi de s'abstenir de combattre sérieusement le Hamas. Chaque rencontre militaire avec le Hamas s'est terminée par un cessez-le-feu dans lequel Israël affirmait avoir porté un coup sévère au Hamas, qu’il mettrait des années à s'en remettre. Il en va de même pour le Liban : Israël a choisi de ne pas attaquer le Hezbollah au Liban depuis 2006 (fin de la deuxième guerre du Liban), mais il s'est concentré sur une appellation sophistiquée, « la guerre entre les guerres ». Cette stratégie visait à empêcher le renforcement militaire du Hezbollah et à se concentrer sur l'attaque de convois, d'entrepôts et de bases en Syrie et ailleurs.

Bien entendu, dans tous ses conflits, Israël a subi des pressions, notamment de la part des États-Unis, pour mettre fin aux combats avant un dénouement définitif.

Le résultat : en 2006, le Hezbollah disposait d'environ 10.000 missiles de toutes catégories, alors qu'en 2023, l'arsenal était estimé à 200.000 missiles, dont certains à guidage de précision. En outre, le Hezbollah, avec ses conseillers iraniens, s'est concentré sur les armes susceptibles de neutraliser la supériorité d'Israël sur le champ de bataille : contre les forces aériennes israéliennes, le Hezbollah a développé son puissant arsenal de drones d'attaque et de reconnaissance ; contre les chars israéliens, le Hezbollah a choisi les missiles antichars « Kornet », et contre le système « Dôme de fer », le Hezbollah utilise des missiles à courte portée contenant des centaines de kilogrammes d'explosifs, tels que les missiles « Burkan » avec une ogive de 500 kilogrammes ! Le Hezbollah a formé ses troupes d'élite à la guerre urbaine et a fait défiler ses forces quatre mois avant la guerre d'octobre. Ce défilé a été accueilli avec arrogance, méfiance et mépris par les Israéliens !

Enfin, Israël a commis une grave erreur dans l'évaluation de la position iranienne. Il a supposé que l'élimination des conseillers et des commandants iraniens en Syrie ne donnerait pas lieu à une réponse iranienne. L'attaque du 14 avril 2024 par 360 missiles balistiques, drones et missiles de croisière de l'Iran contre Israël a été la riposte iranienne après le bombardement du consulat iranien à Damas le 1er avril 2023 et l'élimination de Mohammad Reza Zahedi, le plus haut commandant militaire iranien tué depuis la mort de Qassem Suleimani par une attaque de drone américain le 3 janvier 2020. L'attaque de Damas a transformé l'Iran qui était un participant passif/actif en une partie active potentielle qu’Israël doit prendre en considération.

Que faire maintenant ?

Sur le plan stratégique, Israël doit se tourner vers son front nord, d'où provient la menace existentielle. L'Iran dirige ses mandataires, menés par le Hezbollah, vers le front nord du Liban et de la Syrie, face à Israël.

Le Hamas peut attendre. Il se trouve dans l'arrière-cour d'Israël. Israël peut, à tout moment, si le Hamas enfreint les conditions d'un cessez-le-feu, lancer une offensive contre lui, en gardant à l'esprit que le cessez-le-feu proposé ne signifie pas nécessairement qu'Israël retire toutes ses troupes de la bande de Gaza. Israël peut toujours mener une campagne de faible intensité à Gaza, placerles dirigeants du Hamas dans une position défensive constante où il seront pourchassés et craindront de tomber aux mains des Israéliens, une copie exacte du scénario mis en œuvre par Israël en Judée et en Samarie (la Cisjordanie).

Avec l'amorce d'un cessez-le-feu - s'il peut être négocié - Israël pourra diriger ses troupes d'élite vers son front nord. Cela devrait suffire à inciter les puissances mondiales à faire pression sur le gouvernement libanais pour qu'il parvienne à un accord avec le Hezbollah permettant aux Israéliens déplacés dans le nord d'Israël de rentrer chez eux et de reconstruire leurs communautés. Il en irait de même du côté libanais. La présence de la population civile des deux côtés de la frontière est un moyen de calmer les passions des parties en conflit.

Si un tel règlement ne peut être trouvé, Israël n'aura d'autre choix que de s'engager dans une campagne de guerre coûteuse qui, vraisemblablement, se terminerait par un accord diplomatique négocié par les États-Unis et la France.

(*) Il a démissionné de cette fonction le 9 juin 2024 (LBl-N)

--------------------

Références :

The Realization of Qassem Soleimani’s “Ring of Fire” Strategy, traduction Le Bloc-note

Par le Col. (ret.) Dr. Jacques Neriah, Jerusalem Center for Public Affairs, le 9 juin 2024

Col. (ret.) Dr. Jacques Neriah, analyste spécial pour le Moyen-Orient au Jerusalem Center for Public Affairs, a été conseiller en politique étrangère du Premier ministre Yitzhak Rabin et chef adjoint de l'évaluation du renseignement militaire israélien.