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17 mai 2024

L'administration américaine prend ses désirs pour des réalités, par Efraim Inbar

La tentative américaine d'arrêter la guerre n'a pas permis de consolider la confiance dans les Etats-Unis des pays arabes modérés  qui souhaitent une victoire israélienne.

Efraim Inbar

L'administration américaine actuelle considère la guerre à Gaza comme une opportunité pour construire une architecture de défense régionale contre l'Iran afin d'accroître la stabilité dans la région et d'empêcher l'escalade vers une guerre régionale. Selon elle, l'Arabie saoudite, après avoir signé un traité de défense avec les États-Unis, développera la capacité militaire de s'opposer à l'Iran et rejoindra les accords d'Abraham. Elle espère que cela permettra à d'autres pays musulmans de normaliser leurs relations avec Israël.

Il s'agit là de l'"amadou" proposé à Jérusalem, qui devra s'engager sur la voie d'un État palestinien, tandis que les Palestiniens devront entreprendre d'importantes réformes politiques. L'approbation d'un traité de défense nécessite le soutien des deux tiers du Sénat, ce qui signifie que le président Joe Biden a besoin de l'aide d'Israël pour convaincre les sénateurs républicains d'approuver l'accord américano-saoudien. Selon l'administration Biden, c'est le moyen d'empêcher l'Iran de prendre le contrôle du Moyen-Orient.

Malheureusement, certaines des hypothèses qui sous-tendent ce plan américain sont erronées et la plupart des mesures prises par Washington ne servent pas son objectif.

Toute alliance de défense repose sur la capacité de dissuasion et la volonté du membre principal de l'alliance d'employer la force militaire. Comme nous l'avons vu tout au long de la guerre à Gaza, les États-Unis, malgré leur puissance, n'ont pas réussi à dissuader l'Iran d'utiliser ses mandataires contre les forces américaines en Syrie et en Irak.

Le Hezbollah a lui aussi lancé une guerre d'usure contre un allié américain, Israël. Les Houthis, un autre mandataire iranien, ont ouvert le feu sur des navires dans le détroit de Bab el-Mandeb, une importante voie navigable internationale, et n'ont pas été dissuadés par des frappes américaines limitées.

En outre, malgré l'avertissement du président américain, l'Iran a lancé une attaque directe de missiles et de drones contre Israël. Sans la volonté américaine d'affronter militairement l'Iran - une composante nécessaire de la dissuasion - l'alliance de défense que l'administration Biden souhaite construire sera bâtie sur des fondations fragiles. Il semble que les États arabes ne soient pas convaincus que les États-Unis se porteront à leur défense en cas d'agression iranienne.

MÊME SI M. Biden a d'abord considéré la guerre contre le Hamas comme une lutte de la culture occidentale contre le mal, il a ensuite changé son fusil d'épaule. Des considérations électorales et des impulsions idéologiques provenant de l'aile progressiste du parti démocrate ont conduit à une politique visant à freiner Israël et à l'empêcher de vaincre le Hamas, un groupe islamiste hostile aux États-Unis et à la culture occidentale.

L'effort américain pour arrêter la guerre n'a pas permis de consolider la fragile confiance que les pays arabes modérés - qui souhaitent une victoire israélienne - accordent aux Etats-Unis. Dans la culture politique du Moyen-Orient, où l'usage de la force fait partie de la boîte à outils dont disposent les Etats de la région, la crainte américaine d'une escalade et l'éventuelle nécessité d'affronter militairement l'Iran nuisent à l'image des Etats-Unis en tant qu'allié souhaitable. En outre, la pression américaine sur Israël en temps de guerre semble déconcertante et ne traduit pas un soutien fort à ses alliés.

L'obsession américaine pour un État palestinien ne sert pas non plus la construction de l'alliance. C'est d'autant plus vrai si l'on laisse le Hamas faire partie de l'establishment politique palestinien. Le Hamas, allié de l'Iran, a de bonnes chances de prendre le contrôle de l'État que les Américains sont désireux d'établir dans le cadre d'une alliance anti-iranienne. Cet État serait un cheval de Troie.

De plus, les chances d'un changement fondamental dans la politique palestinienne conduisant à l'établissement d'une entité politique ayant le monopole de l'usage de la force, et n'ayant pas de groupes armés se disputant le leadership, sont minimes.

Un tel État palestinien serait-il très différent de l'Irak, de la Syrie, du Liban ou du Yémen, pays engagés dans des guerres civiles ? Un État palestinien serait-il capable de se libérer, au cours de notre génération, de sa haine des Juifs et d'Israël ? Les États-Unis souffrent de dangereuses illusions face à ces questions.

Washington aura besoin de la bénédiction d'Israël pour s'assurer une majorité au Sénat pour le pacte de défense et d'autres avantages que Riyad souhaite obtenir. L'hypothèse selon laquelle les Saoudiens, qui ont jusqu'à présent acheté leur influence grâce à leurs richesses, deviendront désormais des combattants acharnés, est problématique. Les Saoudiens insistent pour pouvoir enrichir de l'uranium sur leur sol, tout comme l'Iran. Si cela se produit, cela déclenchera une course à l'armement nucléaire avec la Turquie et l'Égypte, qui cherchent également à participer à ce processus.

Cela va à l'encontre des intérêts américains à long terme et de la politique de prévention de la prolifération nucléaire. Israël ne devrait certainement pas apporter son soutien à des mesures qui pourraient conduire à un Moyen-Orient nucléaire multipolaire. Ce serait un cauchemar stratégique, même si l'avantage est que le drapeau saoudien flotte sur une ambassade à Tel-Aviv.

Malheureusement, la politique étrangère actuelle du leader du monde libre est confuse et pleine de contradictions.

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Références :

The American administration is guilty of wishful thinking traduction Le Bloc-note

Par Efraim Inbar, Jerusalem Post, 15 mai 2024,