« Le temps joue en faveur du Hamas, et sa stratégie aura pour effet de réduire la probabilité d'une action militaire israélienne soutenue, d'augmenter les chances que tous les otages ne soient pas rendus… »
Irwin J. Mansdorf |
- Le Hamas emploie des tactiques dilatoires dans ses négociations avec Israël. Cela lui permet de "jouer la montre" et de paralyser les actions israéliennes telles que l'entrée dans Rafah, son dernier bastion. Le Hamas ne donne pas de réponses précises aux négociateurs tout en affirmant que les négociations sont toujours en cours.
- Pendant ce temps, Israël
subit des pressions pour rester à l'écart de Rafah, pour augmenter l'aide
humanitaire et pour permettre aux habitants de Gaza de retourner dans le nord
de la bande de Gaza - autant d'objectifs du Hamas.
- Qu'un accord soit conclu
ou non, un nombre considérable d'otages israéliens restera entre les mains du
Hamas, ce qui permettra à Yahya Sinwar de répéter cette stratégie.
- Si le Hamas réussit à
empêcher l'action militaire d'Israël et que les forces de défense israéliennes
ne parviennent pas à chasser le Hamas du pouvoir, la "résistance"
palestinienne pourra proclamer la justification de son invasion d'Israël le 7
octobre 2023.
- La stratégie du Hamas doit
être activement contrée pour empêcher sa victoire psychologique.
Carte des Forces de défense israéliennes (FDI) de l'évacuation des civils de Rafah avant l'offensive prévue, publiée le 6 mai 2024 (Forces de défense israéliennes). |
Le manque de clarté sur ces
questions permet au Hamas, un acteur non étatique qui ne suit aucune règle, de
prendre les devants et de déterminer la direction de la guerre qui dure depuis
le 7 octobre 2023. La stratégie du Hamas devient claire : jouer un "jeu
d'attente" où le temps est la variable qui sert son avantage. Plus le
temps passe, plus la pression exercée sur Israël pour qu'il s'abstienne de
mener des opérations militaires (2), qu'il élabore des plans pour l'après-guerre
(y compris une normalisation avec l'Arabie saoudite) (3) et qu'il se soumette
aux exigences de l'opinion publique et des médias pour conclure une prise
d'otages (4), est forte.
En donnant l'impression de
s'engager dans des négociations sérieuses, en divulguant diverses déclarations
censées montrer son intérêt pour un accord et en continuant à négocier sans
prendre de décision, le Hamas évite d'être accusé de refuser un accord tout en
perturbant la stratégie des FDI. En fait, c'est le Hamas qui contrôle les
négociations.
Il s'agit d'une stratégie
que des acteurs extérieurs soutiennent. Avec des déclarations publiques
répétées s'opposant à l'action israélienne à Rafah (5), le Hamas peut prendre
son temps, croyant qu'Israël n'agira pas sans le consentement explicite des
États-Unis. Cette attitude est confirmée par l'attaque effrontée du dimanche 5
mai 2024, lorsqu'un barrage de roquettes a été dirigé contre le point de
passage de Kerem Shalom (6), le point de passage même par lequel l'aide humanitaire
entre à Gaza en provenance d'Israël (7). Quatre soldats ont été tués (8). On
pourrait penser que la partie faible, à savoir le Hamas, qui cherche
sérieusement à éviter d'être envahie par une partie plus forte, à savoir
Israël, ne s'engagerait pas dans des actions provocatrices qui vont à
l'encontre de cet objectif. De plus, l'attaque est partie de Rafah, la zone
ciblée par l'armée israélienne. À moins qu'une autre partie ne soit à l'origine
de l'attaque, le Hamas semble avoir ignoré le risque qu'une telle attaque crée
une action israélienne contre lui.
En retardant la réponse à la
proposition de médiation, le Hamas détermine la voie et le rythme des
négociations. C'est lui qui détermine s'il y aura un accord et il le fait alors
que l'aide humanitaire continue à entrer dans Gaza, que la frontière de Rafah
avec l'Égypte n'est toujours pas sous contrôle israélien et qu'il conserve la
capacité de se préparer à une éventuelle attaque israélienne. Entre-temps, il
continue à consolider leur retour dans les zones du nord et du centre de la
bande de Gaza. (9)
Si un accord sur les otages
est conclu et que, par conséquent, Israël n'envahit pas Rafah, les chances
d'une action militaire future sont également réduites puisque les États-Unis
sont susceptibles de s'opposer à une telle action. Si un accord n'est pas conclu
et que les FDI interviennent, une action militaire soutenue dépendra à nouveau
de la décision du Hamas quant à sa volonté de négocier à tout moment pour les
otages. Sa stratégie consistant à faire pression sur Israël pour qu'il conclue
un éventuel accord ultérieur se poursuivra probablement, et le comportement que
nous observons actuellement se répétera sans aucun doute, les tactiques
dilatoires servant à retarder et à perturber l'action israélienne et
l'opposition internationale à l'action militaire à Rafah et à Gaza, en général,
continuant à maintenir la capacité du Hamas à rester au pouvoir.
Le temps joue en faveur du
Hamas, et sa stratégie aura pour effet de réduire la probabilité d'une action
militaire israélienne soutenue, d'augmenter les chances que tous les otages ne
soient pas rendus sans concessions significatives et, surtout, pour le Hamas,
de garantir son maintien au pouvoir dans une bande de Gaza éventuellement
reconstruite. Il est à espérer que tout cela ne se produira pas, mais sans une
opposition efficace à la stratégie du Hamas pour la résistance palestinienne,
l'atrocité du 7 octobre 2023 aura atteint son objectif.
Notes
2. https://www.commondreams.org/news/rafah-gaza-strip
3.https://www.nytimes.com/2024/04/26/opinion/israel-war-rafah-riyadh.html
5.https://www.reuters.com/world/us-democrats-press-biden-prevent-israeli-assault-rafah-2024-05-01/
9.https://www.cnn.com/2024/04/14/middleeast/palestinians-return-northern-gaza-intl-latam/index.html
Références :
The
Psychology of the Waiting Game: Is Hamas in the Driver’s Seat?, traduction Le Bloc-note
Irwin J. Mansdorf, Jerusalem
Center for Publics Affairs, le 6 mai 2024
Irwin J. (Yitzchak) Mansdorf, docteur en
psychologie, est psychologue clinicien et chercheur au Jerusalem Center for
Public Affairs, spécialisé en psychologie politique.