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27 mai 2024

La ’’guerre cognitive’’ de l'Iran est plus dangereuse que les missiles et les drones tueurs, par Aviram Bellaishe

« Pour Khamenei, si l'Iran ne peut pas vaincre militairement les États-Unis, il peut s'efforcer d'en éroder les fondements par la propagande. »

Aviram Bellaishe

La première page du numéro du 2 mai 2024 de l'hebdomadaire Khat-e-Hizbullah, le porte-parole du bureau de Khamenei, présentait une photo des manifestations sur les campus américains avec le titre suivant : « Une flamme au cœur des ténèbres : Révolte des étudiants américains contre le génocide du peuple de Gaza » (1).

Affiche iranienne dans les rues de Téhéran, « Nous sommes la superpuissance », 2020. Khamenei affiche souvent des messages sur le grand panneau d'affichage « tournant » Vali Asr de Téhéran.

Khamenei dirige lui-même cette activité de propagande. Il vise à établir un lien entre le soutien des étudiants américains à Gaza et la destruction des États-Unis à l'aide de ses propres étudiants. Cela reflète la vision du monde d'Ali Khamenei, qui est un copier-coller de la vision du monde de Goebbels et de la politique soviétique concernant le pouvoir de la propagande, des médias et de l'ingénierie cognitive. Pour Khamenei, si l'Iran ne peut pas vaincre militairement les États-Unis, il peut s'efforcer d'en éroder les fondements par la propagande.

Khamenei considère son rôle comme celui d'un guide cognitif, qui dirige l'utilisation d'outils psychologiques et d'agents d'influence. Au-delà des objectifs militaires, il utilise les mandataires palestiniens comme une force terroriste dont on ne peut se passer contre Israël. Il utilise le récit de la « lutte palestinienne » pour construire de nouveaux récits décrivant Israël comme l'occupant, le raciste et l'agent d'un génocide.

Cette activité cognitive est planifiée à l'avance et vise à générer un soutien à la cause palestinienne parmi les Américains en général et tous ceux qui ne comprennent pas de quoi il s'agit ou qui n'ont pas de lien personnel avec cette cause. Dans leur aveuglement naïf, les manifestants croient de tout cœur aux messages reçus, mais ils ne sont pas conscients des récits inventés par le régime des ayatollahs. La deuxième partie de ce projet cognitif consiste à retourner l'ensemble des Américains contre les États-Unis eux-mêmes, un pays présenté comme le soutien de l'Israël raciste et génocidaire décrit dans les récits de la propagande iranienne.

Khamenei : Une lutte cognitive par étapes

Les médias et les personnes influentes

Khamenei affirme que les conflits mondiaux sont gagnés grâce aux médias. Selon lui, pour vaincre l'ennemi, « la presse a une influence plus puissante qu'un missile, un drone, un avion de guerre et les armes en général ». Il considère que la guerre est désormais une guerre cognitive. « Les médias influencent les esprits et les cœurs, et celui qui contrôle les médias parvient à atteindre ses objectifs, quels qu'ils soient »(2).

Khamenei explique en outre comment utiliser le influenceurs, tels que les intellectuels, les politiciens et les journalistes, pour mobiliser le public. Par exemple, si la tâche consiste à faire pression publiquement sur les gouvernements pour qu'ils cessent de soutenir Israël, elle sera accomplie en mobilisant ces personnes d'influence(3) comme leviers pour inciter le public à aller dans ce sens.

Construire des narratifs

Même si le vieux Khamenei parle désormais lentement et lourdement en raison de son âge, il ne fait aucun doute que ses paroles sont soigneusement préparées pour induire des récits de propagande qui s'enracineront dans les esprits. Depuis des années, il qualifie Israël de « régime d'occupation », une étiquette qui est appliquée à ce pays dans les médias iraniens et tout au long de la guerre des glaives de fer(4).

Khamenei manipule le terme « racisme » pour créer un contexte permettant de nuire à des personnes innocentes. Comme il l'a dit, « le régime sioniste est l'incarnation du racisme » et, par conséquent, Israël « assassine des milliers d'enfants sans aucun problème de conscience ». Il ne laisse pas le choix aux États-Unis et à l'Europe, qui doivent décider ce qu'ils doivent faire face à cette situation. « Ils doivent montrer qu'ils ne soutiennent pas le racisme »(5).

Khamenei, pour sa part, l'a fait le 17 octobre 2023. Dix jours après l'assaut du Hamas, il a choisi de qualifier la guerre à Gaza de « génocide », affirmant que les Israéliens attaquaient délibérément des zones résidentielles. Il a appelé à les juger (son appel est peut-être à l'origine du procès entre l'Iran et l'Afrique du Sud) non sans avoir accusé au préalable l'administration américaine d'en être responsable.(6)

Khamenei construit le récit cognitif du « djihad social et moral » en reliant le soutien à la Palestine à l'opposition aux États-Unis. Selon lui, les États-Unis en sont venus à être détestés, comme en témoignent les manifestants en faveur de la Palestine dans les rues de Londres, de Paris, d'autres pays européens et des États-Unis. Ils expriment leur dégoût de l'Amérique. Khamenei affirme que « quiconque choisit de soutenir la Palestine par le biais du djihad social, du djihad islamique ou du djihad issu de la conscience personnelle, la République islamique le soutiendra jusqu'à ce que l'objectif de destruction d'Israël soit atteint »(7.

Khamenei fait la distinction entre le soutien au Hamas et le soutien au terrorisme « (8).

Le soutien à la « Palestine » et à l'Islam, selon le Guide suprême, exprime une foi dans la réponse palestinienne à l'agression israélienne (et non dans le fait que le Hamas a assassiné, violé et brûlé des innocents au nom de l'Islam). Khamenei affirme également que de nombreux jeunes en Occident et aux États-Unis ont commencé à se plonger dans le Coran, et il espère que « la population mondiale acquerra une compréhension profonde de l'islam et de sa supériorité sur l'Occident ».(9) Les dirigeants des pays islamiques qui maintiennent des liens avec Israël agissent, dit-il, contre le Coran.(10)

La propagande et sa valeur

Khamenei souligne l'importance d'une propagande permanente pour mobiliser l'opinion publique mondiale en faveur de Gaza(11). « Il ne faut pas laisser la question de Gaza perdre sa place dans l'opinion publique mondiale ; cette question est cruciale »(12) et, selon lui, décisive.

Lors d'une conversation avec Ismail Haniyeh du Hamas, Khamenei a fait l'éloge de la propagande et des activités médiatiques de la résistance palestinienne, affirmant qu'elles étaient supérieures aux efforts des médias israéliens. Il a souligné l'importance de maintenir cette supériorité « (13.

Les universités s'opposent aux États-Unis, sur le sol américain

Le 23 octobre 2024, Khamenei a souligné le pouvoir des universités et affirmé que « toutes les universités et tous les centres religieux du monde doivent se tenir aux côtés de Gaza dans la guerre ».(14) Quelques semaines plus tard, il a souligné la nécessité de tirer le meilleur parti de la tendance mondiale des gens à descendre dans la rue et à dénoncer Israël et les États-Unis.(15), (16) La même semaine, le 3 novembre, un numéro de Khat-e-Hizbullah a titré « Mobilisation mondiale pour appeler à la mort de l'Amérique. »(17)

Par ailleurs, Khamenei a déclaré que les universités, au-delà de leur obligation de produire des personnes instruites et compétentes, doivent également orienter les connaissances de leurs diplômés. Il pointe que les universités du monde ne le font pas encore et qu'actuellement, le savoir des personnes instruites est contrôlé par Israël et les États-Unis(18).

Khamenei a noté l'augmentation du nombre d'universités américaines où des manifestations ont lieu. Khamenei a aussi noté l'augmentation du nombre d'universités américaines où des manifestations ont lieu. Il a expliqué que cela indiquait que Gaza était la question la plus importante de l'agenda public et qu'il était crucial de maintenir cet effet cognitif. Pour renforcer son message cognitif, Khamenei déforme les faits et affirme que les étudiants américains ne se livrent pas à des actes de violence ou de vandalisme, mais qu'ils s'expriment seulement verbalement. Dans le même temps, le traitement violent des manifestants justifie la position de l'Iran à l'égard des États-Unis et ses appels à la « mort de l'Amérique »(19).

Le professeur Fuad Yazdi de l'université de Téhéran, l'un des principaux porte-parole du régime iranien, s'est exprimé sur les manifestations dans les universités américaines le 26 avril 2024. Tout d'abord, il a affirmé que « sans la République islamique, la cause palestinienne aurait été enterrée depuis longtemps » au lieu d'être au centre des manifestations. Dans un premier temps, ces manifestations réduiront le soutien des États-Unis à Israël et, dans un second temps, lorsque les tensions entre les États-Unis et l'Iran s'aggraveront, ces étudiants, que M. Yazdi définit comme étant affiliés à la République islamique, « descendront dans la rue pour soutenir l'Iran ». Selon lui, l'Iran peut reproduire aux États-Unis ses réalisations au Liban, où les groupes du « Hezbollah » sont « beaucoup plus importants » qu'au Liban.

Les propos de M. Yazdi montrent que les États-Unis sont sa principale cible. Il les qualifie de « Grand Satan » et d'« ennemi principal de l'Iran » et il déclare que les récents événements survenus dans ce pays « nous donnent de l'espoir»(20).

Si ça ressemble à un canard, ça jacasse comme un canard

Les Iraniens considèrent l'administration Biden comme un régime faible. Ils ont progressé dans leur programme nucléaire malgré les prétendues sanctions. Ils ont attaqué Israël directement le 14 avril 2024, de manière inédite et non dissimulée, avec des missiles et des drones, sachant que les États-Unis ne riposteraient pas aux côtés d'Israël et qu'ils limiteraient la contre-attaque israélienne. Les informations iraniennes selon lesquelles la Turquie aurait relayé des messages entre les États-Unis et l'Iran(21) sur la coordination de l'attaque contre Israël et la limitation de la riposte ne font que souligner la faiblesse de l'administration à leurs yeux. Ils observent de près la politique américaine à l'égard d'Israël sur la question de Rafah et ils pensent que les États-Unis ne permettront pas l'élimination de leur mandataire, le Hamas, ce qui a également des conséquences sur la campagne d'Israël contre le Hezbollah et sur la stabilité des mandataires iraniens au Moyen-Orient.

Activités subversives iraniennes aux États-Unis

Sur le front américain, des informations font état d'activités subversives iraniennes. Deux de ces informations semblent impliquer la construction d'une infrastructure et l'activité de personnalités de haut rang :

1.     Le 6 mai 2017, Hooshang Amirahmadi, un intellectuel pro-régime qui vit aux États-Unis(22), a interviewé l'historien iranien Hossein Dabashi. Celui-ci a déclaré que l'ancien ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif avait créé le Conseil national irano-américain(23) comme lobby pour le compte du régime et avait nommé Trita Parsi à sa tête. Amirahmadi, Zarif a souligné que les Iraniens vivant aux États-Unis devaient être mobilisés pour promouvoir les intérêts de la République islamique.(24)

2.     Le 29 juin 2023, des rapports publiés aux États-Unis ont indiqué que Robert Malley, l'ancien envoyé spécial pour les affaires iraniennes, avait été mis en congé sans solde. Par la suite, il a été rapporté qu'il avait été suspendu en raison de manquements à la sécurité et que son habilitation de sécurité, qui lui avait permis d'accéder à des documents secrets, avait été révoquée. Les théories qui en ont découlé reposaient principalement sur l'hypothèse que Malley avait transféré des documents classifiés sur son compte de messagerie électronique personnel(25).

Bien qu'aucun acte d'accusation n'ait été déposé contre Malley, des parlementaires républicains ont récemment déclaré au secrétaire d'État Anthony Blinken qu'ils avaient des remontées troublantes contre Malley et ont demandé à ce qu'elles soient confirmées.(26)

Il ne fait aucun doute que le régime iranien voit dans la faiblesse du régime américain une occasion en or. A la lumière de la fusion de la « lutte palestinienne » avec la gauche progressiste et d'autres organisations lors des manifestations sur les campus, et de l'effort subversif apparent pour construire une infrastructure aux Etats-Unis, il est crucial de voir l'ampleur des capacités de l'Iran en matière de renseignement, d'infrastructure et de finances. L'Iran utilise le drapeau palestinien (non pas qu'il l'intéresse) et l'antisémitisme croissant pour parvenir à ses fins dans la lutte cognitive contre le Grand Satan, en s'efforçant de retourner les troubles, les manifestants et les récits contre le gouvernement américain.

C'est ainsi que Khamenei utilise la minorité bruyante même si la majorité ne partage pas son opinion (comme dans le cas du dernier concours Eurovision de la chanson, où les juges officiels ont attribué zéro point à la candidate israélienne tandis que les téléspectateurs lui donnaient le maximum de voix).

En outre, dans ses discours, Khamenei fait généralement allusion à ce qui va se passer. Par exemple, ses menaces de couper Israël de ses artères vitales(27) ont été suivies par les attaques des Houthis contre la navigation maritime. Ses injonctions aux pays musulmans de rompre temporairement leurs liens avec Israël(28) ont été suivies par l'annonce d'Erdogan d'une suspension du  commerce avec Israël. Ses menaces de retourner les manifestations étudiantes contre les États-Unis eux-mêmes doivent être prises au sérieux.

Notes

* L'auteur tient à remercier Avraham M. de l'Iranian Desk pour son aide dans la préparation de ce document.

Parmi les dizaines d'interviews que Dabashi a réalisées avec de nombreuses personnalités iraniennes et qui sont visibles sur la page d'accueil du site iranien ARARAT (une sorte d'alternative à YouTube), seule cette interview a été supprimée. L'intégralité de l'entretien est disponible à l'adresse suivante : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/transcoded/7/71/Kheshte_Kham_-_E23_-_Amirahmadi.webm/Kheshte_Kham_-_E23_-_Amirahmadi.webm.720p.vp9.webm

« Le fondateur du NIAC, Trita Parsi, et plusieurs autres personnes ont travaillé pour moi. Je l'ai fait venir de Suède. Il n'avait pas de visa, je lui en ai obtenu un et il a travaillé pour moi pendant un an et demi. Puis il a dit qu'il voulait faire son doctorat, et je l'ai laissé partir. Ensuite, il a fondé le NIAC... Le NIAC a commencé à s'intéresser à la question des relations entre l'Iran et les États-Unis à partir de l'ère Zarif. Zarif a fondé le NAIC (pendant la période où il était représentant de l'Iran à l'ONU) (01:27:01) ». Zarif pensait que les Iraniens aux États-Unis devaient être organisés et utilisés au profit de la République islamique ». (01:27:12)

24.  https://freebeacon.com/biden-administration/congress-launches-probe-into-scandal-plagued-biden-iran-envoy/

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Références :

Iran’s “Cognitive War” Is More Dangerous than Missiles and Killer Drones

Par Aviram Bellaishe Jerusalem Issue Briefs Vol. 24, No. 10, le 26 mai 2024

Aviram Bellaishe est vice-président chargé de la stratégie, de la sécurité et de la communication au Jerusalem Center. Pendant plus de vingt-cinq ans, Aviram Bellaishe a occupé des postes gouvernementaux de haut niveau en tant que spécialiste de l'intelligence économique et du Moyen-Orient, expert en négociation et responsable de la coopération internationale. Aviram a été directeur israélien d'une initiative régionale pour le dialogue sur la coopération économique et commerciale dans les régions du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, et est actuellement membre du comité exécutif de MENA 2050.