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6 avr. 2024

Perfidie de l’Oncle Sam, par Park Macdougald

« Il s'agit de fixer des exigences impossibles à satisfaire et de reprocher à Israël de ne pas y répondre. Ainsi, lorsque l'administration poignardera son allié dans le dos, comme elle a voulu le faire depuis le début de la guerre actuelle, elle pourra lever les bras au ciel et s’en pendre à "Bibi". »

 

Park Macdougald

Hier, à la suite de l'appel du président Joe Biden à un "cessez-le-feu immédiat" à Gaza, nous avons écrit que nous nous attendions à ce que "divers sous-fifres de Biden annoncent qu'il n'y avait pas eu de changement de politique et que leur soutien à Israël était plus fort que jamais". Eh bien, voici ce qu'a dit le porte-parole de la Maison Blanche pour la sécurité nationale, John Kirby, dans un échange avec Peter Doocy de Fox News hier :

DOOCY : Le 7 octobre, le président Biden a déclaré : "Le soutien de mon administration à la sécurité d'Israël est solide comme le roc et inébranlable." Ce n'est plus vrai, n'est-ce pas ?

KIRBY : Non, c'est vrai. C'est toujours vrai aujourd'hui.

DOOCY : Comment son soutien peut-il être "inébranlable" alors que vous reconsidérez également vos choix politiques ?

KIRBY : Les deux peuvent être vrais.

DOOCY : Ce n'est pas possible ! Ce sont des choses complètement différentes ! Il hésite. Comment peut-il ne pas vaciller ?

KIRBY : Non, non, non, voyons. ... [Biden] a clairement indiqué lors de son appel au premier ministre que notre soutien à l'autodéfense d'Israël restait inébranlable. (C'est nous qui soulignons.)

Il semble d'ailleurs que le terme "sans faille" soit l'un des mots à la mode préférés de l'administration lorsqu'il s'agit de baiser les Israéliens. Lorsque, le 25 mars, les États-Unis ont refusé d'opposer leur veto à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU appelant à un cessez-le-feu immédiat à Gaza, la Maison-Blanche s'est dite "perplexe" face à la colère des Israéliens, puisque le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan venait de faire part au ministre israélien de la défense Yoav Gallant du "soutien sans faille de Biden à la sécurité et à la défense d'Israël contre toutes les menaces".

Maintenant que les choses sont suffisamment embrouillées, que se passe-t-il réellement ? Le bureau de M. Netanyahu a annoncé vendredi qu'à la suite de l'appel de M. Biden, le cabinet de sécurité israélien avait approuvé un plan visant à augmenter rapidement le flux d'aide vers Gaza. Israël ouvrira le port d'Ashdod et le point de passage d'Erez aux livraisons humanitaires et augmentera la quantité d'aide en provenance de Jordanie acheminée à Gaza par le point de passage de Kerem Shalom. En réponse, le secrétaire d'État américain Antony Blinken a déclaré vendredi que "la preuve est dans les résultats" et que les États-Unis allaient "regarder de près" des paramètres tels que l'évolution du risque de famine.

Les paramètres relatifs à la famine illustrent bien le piège tendu par la Maison Blanche à Israël. Comme l'a souligné Salo Aizenberg sur X, les indicateurs de famine publiés par les Nations unies et les ONG internationales sont, au mieux, peu fiables. Pour ne citer que quelques-uns des problèmes et des incohérences identifiés par M. Aizenberg :

- Selon les chiffres des Nations unies et d'Israël, ce dernier livre déjà à Gaza deux fois plus de nourriture que ce que le Programme alimentaire mondial (PAM) des Nations unies estime nécessaire pour répondre aux besoins des civils gazaouis.

- Les Nations unies prédisent une "famine imminente" depuis le 13 octobre, mais elles n'ont cessé de repousser la date à laquelle les habitants de Gaza commenceront à mourir de faim. Le 23 janvier, un responsable de l'UNRWA a déclaré que 500.000 personnes à Gaza étaient déjà confrontées à une "famine catastrophique". Mais le 18 mars, une ONG des Nations unies a publié un rapport prévoyant que 300.000 personnes dans le nord de Gaza seraient confrontées à la famine d'ici à la fin du mois de mai, tandis que 1,1 million de personnes pourraient être confrontées à un "manque extrême de nourriture" d'ici à la mi-juillet.

- Les chiffres ne cessent de changer. Le 9 décembre, par exemple, le directeur adjoint du PAM a déclaré que "la moitié" des habitants de Gaza étaient "affamés". Moins de deux semaines plus tard, le PAM affirmait que "25 %" des habitants de Gaza étaient "au bord" de la famine. Le 1er janvier, les Nations unies avertissaient à nouveau que "la moitié" des habitants de Gaza "risquaient" de mourir de faim.

- Il existe également de nombreuses preuves, sous forme de photos et de vidéos, dont beaucoup ont été rassemblées par l'utilisateur X @Imshin, de marchés alimentaires bien achalandés dans le centre et le sud de la bande de Gaza.

Mais admettons simplement que de nombreux habitants de Gaza sont confrontés à l'insécurité alimentaire, même si l'ampleur réelle est difficile à calculer. Le problème n'est pas que la nourriture n'arrive pas à Gaza, mais qu'elle n'est pas distribuée de manière adéquate une fois qu'elle y est arrivée. Cela est dû à l'effondrement, en temps de guerre, des infrastructures civiles du Hamas - en particulier dans le nord - et au pillage et à la thésaurisation bien documentés de la part du Hamas et de divers gangs palestiniens armés, ces derniers volant la nourriture pour la vendre à des prix exorbitants sur le marché noir. Ce n'est pas en augmentant le nombre de camions d'aide que l'on résoudra ce problème de distribution.

Ce qui nous amène à la question suivante : comment Israël pourrait-il résoudre ce problème ? Une solution évidente consisterait à évacuer les civils vers l'Égypte ou vers un autre pays tiers sûr, sauf que les États-Unis ont explicitement exclu ce qu'ils appellent "la réinstallation forcée des Palestiniens", ce qui, dans tout autre conflit, s'appellerait l'évacuation de civils d'une zone de guerre. L'autre solution consisterait à adopter la doctrine contre-insurrectionnelle pratiquée par les États-Unis dans leurs guerres en Irak et en Afghanistan : "dégager, tenir et construire". En d'autres termes, les FDI interviendraient sur le terrain et en force afin de débarrasser Gaza du Hamas, de tenir Gaza contre les tentatives du Hamas de se reconstituer, puis de commencer à construire en fournissant des services de base, y compris la distribution de nourriture (c'est ce qu'a recommandé l'ancien général américain David Petraeus). Mais les États-Unis ont également explicitement exclu cette possibilité, Kirby ayant déclaré en novembre que Joe Biden s'opposait à toute "réoccupation de Gaza par les forces israéliennes". Les responsables américains ont au contraire répété à plusieurs reprises aux Israéliens, d'abord dans le nord de Gaza et maintenant à Rafah, qu'ils devaient éviter les opérations au sol et se concentrer sur des frappes "chirurgicales" contre les dirigeants du Hamas.

Nous avons noté hier que les représentants d'Obama-Biden, tels que Ben Rhodes et Richard Haass, insinuaient qu'Israël voulait des engins de destruction de bunkers de 2 000 livres pour tuer des civils sans discrimination, alors que l'armée de l'air américaine a utilisé ces mêmes armes à Mossoul, en Irak, et à Raqqa, en Syrie, pour protéger les civils tout en ciblant l'infrastructure des tunnels d'ISIS (les engins de destruction de bunkers, parce qu'ils sont conçus pour exploser sous terre, réduisent le risque de dommages collatéraux). Nous avons également noté que l'indignation des États-Unis face aux frappes des convois de la World Central Kitchen (WCK), qui s'est traduite par des insinuations officielles selon lesquelles les FDI assassinent délibérément des travailleurs humanitaires, n'a pas tenu compte de la longue histoire d'incidents similaires de l'armée américaine, qui étaient dans de nombreux cas encore plus flagrants.

Mais ces spécificités ne sont qu'une partie d'un schéma plus général : Les États-Unis exigent d'Israël qu'il règle ses problèmes tout en excluant toutes les façons dont les États-Unis tenteraient de régler ces mêmes problèmes s'ils étaient à la place d'Israël. Si cela n'a pas de sens, c'est parce que ce n'est pas censé en avoir. Il s'agit de fixer des exigences impossibles à satisfaire et de reprocher à Israël de ne pas y répondre. Ainsi, lorsque l'administration poignardera son allié dans le dos, comme elle a voulu le faire depuis le début de la guerre actuelle, elle pourra lever les bras au ciel et s’en pendre à "Bibi".

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Références :

April 5, 2024: Iron-Clad BS, traduction Le Bloc-note

Par Park Macdougald The Scroll, 5 Avril 2024

Park MacDougald, qui a été chercheur en sciences politiques et collaborateur de titres prestigieux aux États-Unis, est rédacteur en chef adjoint du magazine Tablet.