Les États-Unis ont adopté une stratégie nationale visant à utiliser la force sans risquer de faire des victimes [américaines].
Cette stratégie a été pleinement mise en évidence
en Ukraine, où Washington a joué un rôle important, voire décisif, non pas en
engageant des troupes, mais en armant les forces ukrainiennes, en utilisant des
signaux politiques et le potentiel d'une présence militaire accrue pour tenter
d'infléchir l'action de la Russie. Cette politique contraste fortement avec
celle adoptée au Viêt Nam, où les États-Unis ont subi des pertes massives et de
graves répercussions politiques à l'intérieur du pays. Les politiques menées
lors des opérations en Irak et en Afghanistan étaient des variantes de cette
stratégie.
Si nous pensions que l'intervention en
Ukraine était unique en son genre, les événements de ce week-end suggèrent
peut-être le contraire. Craignant une intervention iranienne dans sa guerre
contre le Hamas, Israël a lancé le 1er avril des missiles sur un complexe
diplomatique iranien à Damas, tuant deux généraux et cinq autres officiers
supérieurs du Corps des gardiens de la révolution islamique. L'Iran a réagi au
cours du week-end en lançant des missiles et des drones sur des cibles
israéliennes. À l'heure où nous écrivons ces lignes, ces missiles et ces drones
semblent avoir infligé très peu de dégâts, car le système de défense
antimissile multicouche d'Israël semble avoir intercepté la plupart des projectiles.
En d'autres termes, Israël n'avait pas
nécessairement besoin d'une aide extérieure dans cet épisode.
Néanmoins, les États-Unis et le Royaume-Uni
ont utilisé des moyens navals armés de systèmes antimissiles pour intercepter
des missiles iraniens au-dessus de la Syrie, de l'Irak et de la Jordanie. À
l'heure actuelle, rien n'indique que l'Iran visait des moyens américains ou
britanniques, ni que les Israéliens avaient besoin d'aide. L'explication la
plus probable est qu'il s'agissait d'un signal envoyé à l'Iran pour lui faire
comprendre que l'attaque contre Israël pourrait entraîner une intervention des
États-Unis et du Royaume-Uni, mais sans troupes [des deux pays] sur le terrain.
Les États-Unis ont une longue et désagréable histoire avec l'Iran, et ils
voulaient rappeler à Téhéran qu'il aurait à faire face à plus d'un ennemi s'il
affrontait Israël.
Il ne s'agit pas pour les États-Unis de
prendre le parti d'Israël, mais de menacer l'Iran. Le projet nucléaire iranien
préoccupe les États-Unis depuis un certain temps, tout comme les tentatives de
l'Iran de remodeler la région à sa guise. Les États-Unis considèrent la
puissance iranienne comme une menace pour les intérêts américains. Israël est
peut-être un allié américain, mais la défense d'Israël n'était pas la motivation
première de Washington. Sa principale motivation était de dissuader l'Iran
d'adopter un comportement expansionniste.
Les actions de Washington au cours du
week-end sont donc conformes à son désir de ne pas déployer de troupes dans une
guerre avec un ennemi très motivé qui se bat sur son propre terrain. Lorsqu'un
défenseur est à la fois motivé et raisonnablement bien armé - comme ce fut le
cas, par exemple, au Viêt Nam - les États-Unis ne peuvent, pour des raisons
stratégiques et politiques, soutenir un conflit indéfini et subir des pertes.
Pourtant, les stratèges américains considèrent qu'il est essentiel de montrer
que le conflit est important pour les États-Unis et qu'ils sont prêts à
façonner les combats en conséquence - mais pas en envoyant des troupes sur le
terrain.
En d'autres termes, leur stratégie dans le
conflit au Moyen-Orient est similaire à celle qu'ils ont poursuivie en Ukraine
: renforcer leurs alliés avec des armes puissantes tout en évitant les pertes.
Nous assistons aujourd'hui à l'émergence d'une situation similaire au
Moyen-Orient. De même que l'intérêt des
États-Unis pour l'Ukraine est moins lié à l'Ukraine qu'à l'endiguement de la
Russie, l'intervention américaine au Moyen-Orient vise moins à soutenir
Israël qu'à endiguer l'Iran. L'interception de quelques missiles iraniens ne
contribue pas beaucoup à accroître la capacité défensive d'Israël, mais elle
permet de démontrer les intentions des États-Unis pour l'avenir.
S'efforcer d'entrer en guerre sans subir de
pertes massives est, d'une certaine manière, une stratégie qui existe à un
certain niveau depuis un certain temps, mais qui est en train de devenir le
cœur de la stratégie américaine. Son succès dépend de la force et de la volonté
de l'ennemi, et toute erreur d'appréciation obligera les États-Unis à
reconsidérer leur position ou les forces qu'ils doivent utiliser. Je
considérerais normalement que cela fait partie de la stratégie américaine, mais
à la lumière des conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, je pense que c'est la
nouvelle normalité, non seulement pour les questions mineures, mais aussi pour
la gestion de défis plus vastes et à plus long terme.
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US
Strategy and the Iran Strike traduction Le Bloc-note
Par George Friedman,
Geopolitical Futures, le 15
avril 2024
George Friedman est
un prévisionniste géopolitique et un stratège en affaires internationales de
renommée internationale, fondateur et président de Geopolitical Futures.