Pages

16 avr. 2024

Israël ne doit pas se contenter de sa victoire défensive contre l’Iran, par Walter Russell Mead

Suivre les conseils de Joe Biden serait un suicide politique pour Benjamin Netanyahou. 

Walter Russell Mead

Le président Joe Biden aurait conseillé au Premier ministre Benjamin Netanyahou de "prendre sa victoire" après la fin ignominieuse des attaques de missiles et de drones sans précédent menées par l'Iran contre Israël.

Alors que le monde attend avec impatience la réponse d'Israël, deux choses semblent claires. Ce serait un suicide politique pour M. Netanyahou de suivre le conseil du président, et ce serait un suicide national pour n'importe quel premier ministre israélien de le faire. M. Biden se préoccupe avant tout de sa réélection, une cause qu'il associe commodément, voire sincèrement, à la survie de la démocratie aux États-Unis et de la liberté dans le monde. Israël se préoccupe de quelque chose de plus tangible : la survie du seul État juif au monde.

M. Biden est beaucoup plus intelligent au sujet du Moyen-Orient aujourd'hui qu'il ne l'était en janvier 2021, lorsqu'il déblatérait encore des inepties sur l'isolement de l'Arabie saoudite et poursuivait la volonté de détente avec l'Iran. Aujourd'hui, le président comprend qu'il ne peut pas simplement serrer la main de l'Iran et se retirer du Moyen-Orient. Si les États-Unis espèrent abandonner leur rôle de premier plan dans la région, ils doivent favoriser une alliance capable de freiner la volonté d'hégémonie implacable et fanatique de l'Iran. C'est pourquoi l'équipe Biden a radicalement inversé sa politique initiale consistant à faire de l'Arabie saoudite un "paria" et, empruntant certains des concepts fondamentaux des accords d'Abraham de Donald Trump, elle a fait de la promotion d'une alliance israélo-saoudienne la pierre angulaire de sa stratégie régionale.

Il s'agissait d'une décision intelligente, dans la mesure où elle allait de soi. Tant que les ambitions insatiables de l'Iran ne seront pas freinées, seuls le tumulte et le terrorisme attendent les peuples fatigués d'une région dont les richesses en combustibles fossiles restent essentielles au bon fonctionnement de l'économie mondiale. D'un point de vue américain, rassembler un groupe d'alliés de l’Amérique pour prendre notre place en première ligne à un moment où nous devons nous concentrer davantage sur l'Indo-Pacifique est une question de bon sens.

Ce que le président ne semble pas encore comprendre, c'est que l'Iran est devenu si puissant, et la réputation de l'Amérique en tant que source de politique saine et de soutien fiable si faible, que seul un soutien américain résolu à nos alliés peut inverser la tendance. Ce problème se pose depuis des décennies. La mauvaise gestion de George W. Bush en Irak a éliminé la seule puissance régionale capable de contenir l'Iran à elle seule, sans construire une solution de remplacement efficace. L'inefficacité de la politique syrienne de Barack Obama a donné à l'Iran et à son nouveau meilleur ami, la Russie, une position dominante au cœur du Moyen-Orient. Le soutien de M. Trump aux accords d'Abraham et ses politiques rigoureuses à l'égard de l'Iran allaient dans la bonne direction, mais ils étaient surtout trop limités, trop tardifs et trop erratiques. Le soutien de M. Biden à Israël est apprécié dans les capitales arabes ainsi qu'à Jérusalem, mais ses hésitations vis-à-vis de l'Iran ont renforcé les ayatollahs et sapé le prestige très amoindri de l'Amérique.

L'article mal choisi de Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale, dans Foreign Affairs d’octobre dernier, saluant ce qu'il pensait être la plus grande stabilité régionale depuis des décennies, a été la cerise sur le gâteau de l'incompétence intellectuelle perçue des responsables politiques américains dans la région. L'establishment de la politique étrangère de Washington, que l'ancien collaborateur d'Obama Ben Rhodes appelait "le Blob", n'a jamais très bien compris le Moyen-Orient.

D'un point de vue arabe, deux éléments rendent Israël précieux à une époque où la confiance dans les États-Unis s'amenuise. Il sera un allié fiable parce qu'il n'a pas le choix. Deuxièmement, Israël offre le mélange de force et d'acharnement sans lequel l'Iran ne peut être arrêté. Alors que l'opinion de gauche américaine se tordait élégamment les mains en affirmant que l'absence de pitié d’Israël à Gaza détruisait toute possibilité de coopération israélo-arabe, la Jordanie et l'Arabie saoudite se sont portées à la défense d'Israël contre les attaques iraniennes. Le moyen le plus rapide pour Israël de perdre ses amis au Moyen-Orient serait de commencer à penser comme la gauche américaine en matière de politique étrangère.

La situation n'est pas idéale, et l'on peut espérer que des temps meilleurs amèneront des vues plus nobles, mais les gens qui luttent pour leur survie contre un adversaire totalement amoral feront ce qu'ils doivent faire. Les Américains désireux de critiquer ce qu'ils considèrent comme l'immoralité des gouvernements de la région devraient réfléchir au rôle que nos propres mauvais choix ont joué dans la détérioration de la sécurité au Moyen-Orient jusqu'à son état abyssal actuel.

Pendant ce temps, M. Biden continuera d’essayer de sauver le monde en se faisant réélire et il évaluera les développements à l'étranger en fonction de leurs effets prévus sur le Wisconsin et le Michigan. M. Netanyahou devra choisir entre l'alternative désastreuse de s'aliéner M. Biden en ignorant ses préférences et celle de mettre Israël en danger en suivant ses conseils.

-------------------

Références :

Israel Shouldn’t ‘Take the Win’ Against Iran, traduction Le Bloc-note

Par Walter Russell Mead, Wall Street Journal, 15 avril 2024

Walter Russell Mead assure des chroniques d'opinion « Global Views » au The Wall Street Journal. Il est Ravenel B. Curry III Distinguished Fellow in Strategy and Statesmanship à l'Hudson Institute, et James Clarke Chace Professor of Foreign Affairs and Humanities au Bard College à New York. Il est également membre de l'Institut Aspen Italie et membre du conseil d'administration d'Aspenia. Avant de rejoindre Hudson, M. Mead était membre du Council on Foreign Relations en tant que Henry A. Kissinger Senior Fellow for U.S. Foreign Policy. Il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont le très reconnu Special Providence : American Foreign Policy and How It Changed the World (Alfred A. Knopf, 2004). L'ouvrage le plus récent de M. Mead s'intitule The Arc of A Covenant : The United States, Israel, and the Fate of the Jewish People (L'arc d'une alliance : les États-Unis, Israël et le destin du peuple juif).