Suivre les conseils de Joe Biden serait un suicide politique pour Benjamin Netanyahou.
Walter Russell Mead |
Le président Joe Biden aurait conseillé au
Premier ministre Benjamin Netanyahou de "prendre sa victoire" après la
fin ignominieuse des attaques de missiles et de drones sans précédent menées
par l'Iran contre Israël.
Alors que le monde attend avec impatience la
réponse d'Israël, deux choses semblent claires. Ce serait un suicide politique
pour M. Netanyahou de suivre le conseil du président, et ce serait un suicide
national pour n'importe quel premier ministre israélien de le faire. M. Biden
se préoccupe avant tout de sa réélection, une cause qu'il associe commodément,
voire sincèrement, à la survie de la démocratie aux États-Unis et de la liberté
dans le monde. Israël se préoccupe de quelque chose de plus tangible : la
survie du seul État juif au monde.
M. Biden est beaucoup plus intelligent au
sujet du Moyen-Orient aujourd'hui qu'il ne l'était en janvier 2021, lorsqu'il
déblatérait encore des inepties sur l'isolement de l'Arabie saoudite et
poursuivait la volonté de détente avec l'Iran. Aujourd'hui, le président
comprend qu'il ne peut pas simplement serrer la main de l'Iran et se retirer du
Moyen-Orient. Si les États-Unis espèrent abandonner leur rôle de premier plan
dans la région, ils doivent favoriser une alliance capable de freiner la
volonté d'hégémonie implacable et fanatique de l'Iran. C'est pourquoi l'équipe
Biden a radicalement inversé sa politique initiale consistant à faire de
l'Arabie saoudite un "paria" et, empruntant certains des concepts
fondamentaux des accords d'Abraham de Donald Trump, elle a fait de la promotion
d'une alliance israélo-saoudienne la pierre angulaire de sa stratégie
régionale.
Il s'agissait d'une décision intelligente,
dans la mesure où elle allait de soi. Tant que les ambitions insatiables de
l'Iran ne seront pas freinées, seuls le tumulte et le terrorisme attendent les
peuples fatigués d'une région dont les richesses en combustibles fossiles
restent essentielles au bon fonctionnement de l'économie mondiale. D'un point
de vue américain, rassembler un groupe d'alliés de l’Amérique pour prendre
notre place en première ligne à un moment où nous devons nous concentrer
davantage sur l'Indo-Pacifique est une question de bon sens.
Ce que le président ne semble pas encore
comprendre, c'est que l'Iran est devenu si puissant, et la réputation de
l'Amérique en tant que source de politique saine et de soutien fiable si
faible, que seul un soutien américain résolu à nos alliés peut inverser la
tendance. Ce problème se pose depuis des décennies. La mauvaise gestion de
George W. Bush en Irak a éliminé la seule puissance régionale capable de
contenir l'Iran à elle seule, sans construire une solution de remplacement
efficace. L'inefficacité de la politique syrienne de Barack Obama a donné à
l'Iran et à son nouveau meilleur ami, la Russie, une position dominante au cœur
du Moyen-Orient. Le soutien de M. Trump aux accords d'Abraham et ses politiques
rigoureuses à l'égard de l'Iran allaient dans la bonne direction, mais ils
étaient surtout trop limités, trop tardifs et trop erratiques. Le soutien de M.
Biden à Israël est apprécié dans les capitales arabes ainsi qu'à Jérusalem,
mais ses hésitations vis-à-vis de l'Iran ont renforcé les ayatollahs et sapé le
prestige très amoindri de l'Amérique.
L'article mal choisi de Jake Sullivan,
conseiller à la sécurité nationale, dans Foreign Affairs d’octobre dernier,
saluant ce qu'il pensait être la plus grande stabilité régionale depuis des
décennies, a été la cerise sur le gâteau de l'incompétence intellectuelle
perçue des responsables politiques américains dans la région. L'establishment
de la politique étrangère de Washington, que l'ancien collaborateur d'Obama Ben
Rhodes appelait "le Blob", n'a jamais très bien compris le
Moyen-Orient.
D'un point de vue arabe, deux éléments
rendent Israël précieux à une époque où la confiance dans les États-Unis
s'amenuise. Il sera un allié fiable parce qu'il n'a pas le choix. Deuxièmement,
Israël offre le mélange de force et d'acharnement sans lequel l'Iran ne peut
être arrêté. Alors que l'opinion de gauche américaine se tordait élégamment les
mains en affirmant que l'absence de pitié d’Israël à Gaza détruisait toute
possibilité de coopération israélo-arabe, la Jordanie et l'Arabie saoudite se
sont portées à la défense d'Israël contre les attaques iraniennes. Le moyen le
plus rapide pour Israël de perdre ses amis au Moyen-Orient serait de commencer
à penser comme la gauche américaine en matière de politique étrangère.
La situation n'est pas idéale, et l'on peut
espérer que des temps meilleurs amèneront des vues plus nobles, mais les gens
qui luttent pour leur survie contre un adversaire totalement amoral feront ce
qu'ils doivent faire. Les Américains désireux de critiquer ce qu'ils
considèrent comme l'immoralité des gouvernements de la région devraient
réfléchir au rôle que nos propres mauvais choix ont joué dans la détérioration
de la sécurité au Moyen-Orient jusqu'à son état abyssal actuel.
Pendant ce temps, M. Biden continuera d’essayer
de sauver le monde en se faisant réélire et il évaluera les développements à
l'étranger en fonction de leurs effets prévus sur le Wisconsin et le Michigan.
M. Netanyahou devra choisir entre l'alternative désastreuse de s'aliéner M.
Biden en ignorant ses préférences et celle de mettre Israël en danger en
suivant ses conseils.
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Références :
Israel
Shouldn’t ‘Take the Win’ Against Iran, traduction
Le Bloc-note
Par Walter Russell
Mead, Wall
Street Journal, 15 avril 2024
Walter Russell Mead assure
des chroniques d'opinion « Global Views » au The Wall Street Journal.
Il est Ravenel B. Curry III Distinguished
Fellow in Strategy and Statesmanship à l'Hudson Institute, et James Clarke
Chace Professor of Foreign Affairs and Humanities au Bard College à New York. Il est également membre de l'Institut
Aspen Italie et membre du conseil d'administration d'Aspenia. Avant de
rejoindre Hudson, M. Mead était membre du Council on Foreign Relations en tant
que Henry A. Kissinger Senior Fellow for U.S. Foreign Policy. Il est l'auteur
de nombreux ouvrages, dont le très reconnu Special
Providence : American Foreign Policy and How It Changed the World (Alfred
A. Knopf, 2004). L'ouvrage le plus récent de M. Mead s'intitule The Arc of A Covenant : The United States,
Israel, and the Fate of the Jewish People (L'arc d'une alliance : les
États-Unis, Israël et le destin du peuple juif).