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24 mars 2024

Les élites du pouvoir américaines n'osent pas voir la réalité palestinienne, par Lawrence J. Haas

Le constat édifiant de Lawrence J. Haas sur la cécité du pouvoir américain  néglige cependant l'hypothèse que cette cécité est délibérée et que mettre Israël dans l'impasse est une intention, la priorité absolue étant donnée aux élections et à l'apaisement sacro-saint de l'Iran. [Le Bloc-note]

Lawrence J. Haas 

Plutôt que tordre la réalité, les responsables et les leaders d'opinion américains devraient l'embrasser. La paix israélo-palestinienne à long terme nécessite, entre autres, la destruction du Hamas, la refonte de l'Autorité palestinienne et l'instauration d'un esprit de coexistence au sein du peuple palestinien.

Je déteste les phrases du type "bien sûr"", m'a dit un jour un leader d'opinion israélien, en référence aux critiques formulées à l'encontre de l'État juif. Par exemple : "Il est certain qu'Israël est entouré d'ennemis". Ou encore : "Il est certain qu'Israël est confronté à un Hamas génocidaire au sud et à un Hezbollah génocidaire encore plus puissant au nord".

Il détestait les phrases "bien sûr", expliquait-il, parce qu'il s'agissait de lignes à mettre à la poubelle, de références à la réalité que les rédacteurs se sentaient obligés de mentionner avant de revenir à leur tâche principale consistant à condamner violemment Israël pour les troubles de la région.

Eh bien, le "bien sûr" est de retour, et les hauts fonctionnaires et les leaders d'opinion américains et occidentaux ressuscitent la toujours insaisissable "solution à deux États" pour la paix israélo-palestinienne et critiquent les opérations militaires israéliennes à Gaza qui, selon eux, la rendront impraticable.

"Je ne sous-estimerai jamais les graves menaces auxquelles Israël est confronté, et a été confronté, tout au long de son existence", a déclaré le chef de la majorité sénatoriale, Chuck Schumer, dans le style classique du "bien sûr", avant de concentrer ses tirs sur le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, dans un discours très médiatisé dont le président Biden a fait l'éloge : il aurait soulevé des préoccupations "partagées... par de nombreux Américains".

"Je veux être très clair sur une chose que Schumer et Biden ont également clarifiée" soutient Thomas Friedman, chroniqueur au New York Times. Il a commencé de la même manière, "la guerre à Gaza a été imposée à Israël par une attaque vicieuse du Hamas contre les communautés frontalières israéliennes...", avant de s'en prendre à M. Netanyahou.

Le problème du "bien sûr" au milieu de la guerre est qu'en faisant pression sur Jérusalem pour qu'elle réduise ses plans militaires et poursuive la solution des deux États à ce moment précis, ses détracteurs ignorent une réalité peu glorieuse du côté palestinien, à savoir qu’il n'y a pas de partisans de "deux États vivant côte à côte dans la paix" parmi ses dirigeants et son peuple.

Faire pression en faveur de la solution des deux États maintenant, alors qu'Israël est en guerre et que les Palestiniens s'opposent largement à la coexistence, s'avérera certainement infructueux, nourrira davantage de cynisme et éloignera les perspectives de parvenir un jour à la paix.

Réalité n° 1 –elle concerne le Hamas : "Si Israël devait renforcer son contrôle sur Gaza et la Cisjordanie, quel espoir raisonnable pouvons-nous avoir que le Hamas et ses alliés déposent les armes ? a demandé M. Schumer.

Réponse : aucun. Le Hamas ne cessera pas de se battre, quoi que fasse Israël. La raison d'être du groupe est la destruction d'Israël, comme l'a reconnu M. Schumer dans un autre passage de son discours. Tout espoir de paix israélo-palestinienne repose donc sur la destruction du Hamas, qu'Israël poursuit, et non sur une soi-disant "attente raisonnable" que le Hamas et ses alliés du même acabit, comme le Jihad islamique palestinien, "déposeront les armes".

Deuxième réalité : elle concerne l'Autorité palestinienne : "Je ne sais pas si l'Autorité palestinienne peut se ressaisir pour devenir le gouvernement dont les Palestiniens et les Israéliens ont besoin", a admis M. Friedman, après avoir prédit que "toute la stratégie américaine au Moyen-Orient" et "les intérêts à long terme d'Israël" reposaient sur un partenariat entre Israël et cette même organisation.

Friedman a raison de s'interroger, même si cela affaiblit son argumentation. L'AP, prétendument "modérée", verse des pensions mensuelles aux familles des "martyrs" palestiniens qui tuent des Juifs, les paiements étant plus élevés pour ceux qui tuent en plus grand nombre. Dans toute la Cisjordanie, gérée par l'Autorité palestinienne, les Palestiniens apprennent dans les écoles, les mosquées et les médias sociaux à haïr les Juifs et à rejeter la légitimité d'Israël. En novembre, au moins onze écoles palestiniennes (dont huit gérées par l'Autorité palestinienne) avaient célébré le massacre et la prise d'otages perpétrés par le Hamas le 7 octobre.

Réalité n°3 : elle concerne le peuple palestinien. La paix véritable ne doit pas seulement émerger d'une table de négociation, mais aussi rs’imposer dans le cœur de la population. Or, dans un sondage réalisé en novembre, seuls 17% des Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie étaient favorables à une solution à deux États, tandis que 75% d'entre eux soutenaient un "État palestinien allant du fleuve [Jourdain] à la mer [Méditerranée]" - hélas, en remplacement de ce qui est aujourd'hui Israël.

Dans un sondage réalisé en décembre, 72% des Palestiniens ont soutenu l'attaque du Hamas et, depuis octobre, le soutien au Hamas a augmenté à Gaza et a grimpé en flèche en Cisjordanie.

C’est là une réalité assez rebutante.

Les dirigeants israéliens sont peut-être un peu trop occupés pour, comme le dit Friedman, "combattre le Hamas à Gaza d'une main et rechercher la paix de l'autre". Tout en s’en prenant au Hamas, ils répondent aux tirs de roquettes du Hezbollah sur la frontière nord d'Israël. Dans le même temps, Israël vient de subir sa première attaque au missile de croisière des rebelles houthis sur son territoire.

Par ailleurs, pour les voix américaines ou autres qui pensent qu'une élection en Israël qui évincerait Netanyahou - ce que Biden, Schumer et autres préconisent audacieusement - modifierait du même coup la politique ide ce pays, il faut prendre en compte que les dirigeants et citoyens d'Israël, toutes tendances politiques confondues, semblent assez unis sur "les grandes lignes" de la réponse de Netanyahou au 7 octobre.

Plutôt que tordre la réalité, les responsables et les leaders d'opinion américains doivent l'accepter. La paix israélo-palestinienne à long terme nécessite, entre autres, la destruction du Hamas, la refonte de l'Autorité palestinienne et l'instauration d'un esprit de coexistence au sein du peuple palestinien.

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Références :

Israeli-Palestinian Peace Must Reflect Reality traduction Le Bloc-note

Par Lauwrence J. Hass, 1945, le 24 mars 2024

Lawrence J. Haas, ancien haut fonctionnaire de la Maison Blanche et journaliste primé, est Senior Fellow pour la politique étrangère des États-Unis à l'American Foreign Policy Council. Il est l’auteur de The Kennedys in the World : How Jack, Bobby, and Ted Remade America's Empire. Très actif dans les media sur les affaires étrangères , M. Haas a été directeur de la communication du vice-président Al Gore et, auparavant, de l'Office de la gestion et du budget.