Vous êtes-vous demandé pourquoi, malgré la dévastation de Gaza et les efforts diplomatiques massifs déployés par de nombreux pays, le Hamas continue de refuser un cessez-le-feu ? Cela a beaucoup à voir avec sa stratégie initiale du 7 octobre et avec les États-Unis.
Lorsque le Hamas a attaqué et envahi
Israël, il l'a fait en sachant qu'il y aurait une réponse massive d'Israël et
une opération à Gaza. Il savait que de nombreux civils gazaouis allaient
mourir, et il comptait d'ailleurs sur eux, parlant de leur population comme
d'une "nation
de martyrs." Il s'enorgueillissait
de leur sacrifice pour atteindre ses objectifs militaires.
La stratégie militaire de l'attaque du Hamas
du 7 octobre consistait à créer le plus d’atrocités possibles et à survivre à
la contre-attaque d'Israël. Ensuite, après avoir survécu, le Hamas avait
l'intention de préparer de
nombreuses autres attaques du 7 octobre, tout cela dans le but d'atteindre
son grand objectif stratégique : la destruction d'Israël et la mort du peuple
juif.
Ghazi Hamad, l'un des principaux dirigeants
politiques du Hamas, l'a
affirmé : "Israël est un pays
qui n'a pas sa place sur notre terre. Le déluge d'Al-Aqsa n'est que la première
fois, et il y en aura une deuxième, une troisième et une quatrième. En
paierons-nous le prix ? Oui, et nous sommes prêts à le payer".
Le Hamas espère que des attaques répétées
comme celle du 7 octobre finiront par briser la volonté de la population
israélienne. Pour ce faire, le Hamas doit survivre à la guerre.
Les défenses du Hamas à Gaza ont été
construites pour maintenir les Forces de défense israéliennes (FDI) dans les
zones orientales de Gaza. La défense s'appuyait également sur les
centaines de kilomètres de tunnels que le Hamas avait construits sous les
zones civiles, les sites protégés et les infrastructures de Gaza. Lors de
l'offensive dans le nord de la bande de Gaza, les FDI ont créé la surprise sur
le plan opérationnel et se sont bien comportées sur le champ de bataille. En
conséquence, les défenses du Hamas n'ont pas tenu aussi bien qu'il l'espérait,
si bien qu’il a accepté un cessez-le-feu temporaire et a restitué près de la
moitié des otages. Au cours de ce cessez-le-feu, le Hamas a évacué les otages
restants et une grande partie de ses dirigeants pour se cacher là ou les civils
étaient concentrés, dans les zones non libérées de Gaza, telles que Rafah.
Entre-temps, la pression intérieure et la
souffrance des habitants de Gaza ont conduit les États-Unis à faire pression
sur Israël pour qu'il modifie ses opérations lors des combats à Khan Younis,
dans le sud de la bande de Gaza, et qu’il utilise des forces beaucoup plus
légères. Pour la première fois, le Hamas a pu entrevoir une issue.
Si les États-Unis se sentaient suffisamment
mal à l'aise avec la poursuite de la guerre contre le Hamas, ils exerceraient
une pression accrue sur Israël pour qu'il mette un terme à ses opérations.
L'Égypte, en partie, a involontairement contribué à la stratégie du Hamas en
fermant sa frontière aux civils palestiniens. Les habitants de Gaza se sont
ainsi retrouvés piégés dans la zone de combat. Malgré les efforts d'Israël et
de la communauté internationale en matière d'aide humanitaire, nécessairement, les
souffrances des habitants de Gaza ne pouvaient être soulagées.
Bien que de nombreux pays se soient joints
aux efforts d'Israël pour augmenter la quantité d'aide acheminée dans
différentes parties de Gaza, y compris les largages aériens et maintenant un
port maritime, il y aura toujours des limites tant que le Hamas continuera à
détenir les otages et à attaquer les FDI. Les actions du Hamas visant à limiter
l'aide aux Palestiniens augmentent la probabilité que les États-Unis exigent de
nouvelles restrictions d'Israël, notamment en ce qui concerne les opérations à
Rafah.
Pourquoi
le Hamas a-t-il refusé un cessez-le-feu à Gaza ?
C'est simple : il pense que sa stratégie va
fonctionner.
Il pense que les États-Unis empêcheront
Israël d’investir Rafah, ou que si Israël opère à Rafah, il risquera une
rupture stratégique avec son seul allié au sein du Conseil de sécurité des
Nations unies. Dans les deux hypothèses, le Hamas remporterait une victoire
stratégique.
Sans opérations à Rafah, Israël sera
contraint d'accepter des demandes farfelues pour le retour des otages. En
outre, le Hamas survivrait et s'imposerait comme la seule organisation
palestinienne capable de vaincre Israël.
Alors qu'il devient de plus en plus évident
que les États-Unis n'apprécieront guère une incursion israélienne à Rafah, le
Hamas n'a aucune raison de négocier les termes d'un cessez-le-feu. Il ne se
soucie pas des intérêts des habitants de Gaza. Le Hamas peut maximiser ses
gains en espérant que les États-Unis finiront par imposer un cessez-le-feu à
Israël. Dans le cas improbable où ses hypothèses sur les États-Unis
commenceraient à se révéler fausses, il pourrait tenter de retarder davantage
l'offensive israélienne dans le sud de la bande de Gaza en revenant à la table
des négociations.
Sans la menace réaliste d'une opération
israélienne à Rafah, le Hamas n'a aucune raison de rechercher un cessez-le-feu.
Et, compte tenu de sa stratégie, il ne peut y avoir de cessez-le-feu
véritablement durable s’il parvient à reprendre le contrôle de Gaza.
Tant que les États-Unis s'opposeront à
l'entrée d'Israël à Rafah, les dirigeants du Hamas pourront dormir relativement
tranquilles dans leurs tunnels et refuser de négocier.
En fin de compte, la stratégie du Hamas et
son refus de négocier dépendent entièrement des États-Unis dans la mesure où Washington
agit comme il le souhaite – une perspective qui semble de plus en plus
probable. Cela signifie que l'acteur clé qui déterminera si le Hamas s'assiéra
à la table des négociations et si un cessez-le-feu est possible n'est pas
Israël, mais les États-Unis.
En d'autres termes, si la route vers un
cessez-le-feu durable à Gaza passe par Rafah, elle s'arrête d'abord à Washington.
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Références :
The
Road to Ceasefire Leads Through the Rafah Offensive traduction Le Bloc-note
par
Jacob Stoil & John Spencer, Newsweek, 11 03 2024
Jacob Stoil est titulaire de la chaire
d'histoire appliquée au Modern War
Institute (MWI) de West Point, directeur adjoint du Second World War
Research Group (Amérique du Nord), administrateur de la Commission américaine
pour l'histoire militaire et membre fondateur du groupe de travail
international sur la guerre souterraine.
John Spencer est titulaire de la chaire
d'études sur la guerre urbaine au Modern
War Institute (MWI) de West Point, codirecteur du projet de guerre urbaine
du MWI et animateur du "Urban
Warfare Project Podcast". Il a servi pendant 25 ans comme soldat
d'infanterie, dont deux périodes de combat en Irak. Il est l'auteur du livre
"Connected
Soldiers : Life, Leadership, and Social Connection in Modern War et
co-auteur de Understanding
Urban Warfare.