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14 mars 2024

Le chemin du cessez-le-feu passe par une offensive à Rafah, par Jacob Stoil & John Spencer

Vous êtes-vous demandé pourquoi, malgré la dévastation de Gaza et les efforts diplomatiques massifs déployés par de nombreux pays, le Hamas continue de refuser un cessez-le-feu ? Cela a beaucoup à voir avec sa stratégie initiale du 7 octobre et avec les États-Unis. 

Jacob Stoil & John Spencer

Lorsque le Hamas a attaqué et envahi Israël, il l'a fait en sachant qu'il y aurait une réponse massive d'Israël et une opération à Gaza. Il savait que de nombreux civils gazaouis allaient mourir, et il comptait d'ailleurs sur eux, parlant de leur population comme d'une "nation de martyrs."  Il s'enorgueillissait de leur sacrifice pour atteindre ses objectifs militaires.

La stratégie militaire de l'attaque du Hamas du 7 octobre consistait à créer le plus d’atrocités possibles et à survivre à la contre-attaque d'Israël. Ensuite, après avoir survécu, le Hamas avait l'intention de préparer de nombreuses autres attaques du 7 octobre, tout cela dans le but d'atteindre son grand objectif stratégique : la destruction d'Israël et la mort du peuple juif.

Ghazi Hamad, l'un des principaux dirigeants politiques du Hamas, l'a affirmé : "Israël est un pays qui n'a pas sa place sur notre terre. Le déluge d'Al-Aqsa n'est que la première fois, et il y en aura une deuxième, une troisième et une quatrième. En paierons-nous le prix ? Oui, et nous sommes prêts à le payer".

Le Hamas espère que des attaques répétées comme celle du 7 octobre finiront par briser la volonté de la population israélienne. Pour ce faire, le Hamas doit survivre à la guerre.

Les défenses du Hamas à Gaza ont été construites pour maintenir les Forces de défense israéliennes (FDI) dans les zones orientales de Gaza. La défense s'appuyait également sur les centaines de kilomètres de tunnels que le Hamas avait construits sous les zones civiles, les sites protégés et les infrastructures de Gaza. Lors de l'offensive dans le nord de la bande de Gaza, les FDI ont créé la surprise sur le plan opérationnel et se sont bien comportées sur le champ de bataille. En conséquence, les défenses du Hamas n'ont pas tenu aussi bien qu'il l'espérait, si bien qu’il a accepté un cessez-le-feu temporaire et a restitué près de la moitié des otages. Au cours de ce cessez-le-feu, le Hamas a évacué les otages restants et une grande partie de ses dirigeants pour se cacher là ou les civils étaient concentrés, dans les zones non libérées de Gaza, telles que Rafah.

Entre-temps, la pression intérieure et la souffrance des habitants de Gaza ont conduit les États-Unis à faire pression sur Israël pour qu'il modifie ses opérations lors des combats à Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza, et qu’il utilise des forces beaucoup plus légères. Pour la première fois, le Hamas a pu entrevoir une issue.

Si les États-Unis se sentaient suffisamment mal à l'aise avec la poursuite de la guerre contre le Hamas, ils exerceraient une pression accrue sur Israël pour qu'il mette un terme à ses opérations. L'Égypte, en partie, a involontairement contribué à la stratégie du Hamas en fermant sa frontière aux civils palestiniens. Les habitants de Gaza se sont ainsi retrouvés piégés dans la zone de combat. Malgré les efforts d'Israël et de la communauté internationale en matière d'aide humanitaire, nécessairement, les souffrances des habitants de Gaza ne pouvaient être soulagées.

Bien que de nombreux pays se soient joints aux efforts d'Israël pour augmenter la quantité d'aide acheminée dans différentes parties de Gaza, y compris les largages aériens et maintenant un port maritime, il y aura toujours des limites tant que le Hamas continuera à détenir les otages et à attaquer les FDI. Les actions du Hamas visant à limiter l'aide aux Palestiniens augmentent la probabilité que les États-Unis exigent de nouvelles restrictions d'Israël, notamment en ce qui concerne les opérations à Rafah.

Pourquoi le Hamas a-t-il refusé un cessez-le-feu à Gaza ?

C'est simple : il pense que sa stratégie va fonctionner.

Il pense que les États-Unis empêcheront Israël d’investir Rafah, ou que si Israël opère à Rafah, il risquera une rupture stratégique avec son seul allié au sein du Conseil de sécurité des Nations unies. Dans les deux hypothèses, le Hamas remporterait une victoire stratégique.

Sans opérations à Rafah, Israël sera contraint d'accepter des demandes farfelues pour le retour des otages. En outre, le Hamas survivrait et s'imposerait comme la seule organisation palestinienne capable de vaincre Israël.

Alors qu'il devient de plus en plus évident que les États-Unis n'apprécieront guère une incursion israélienne à Rafah, le Hamas n'a aucune raison de négocier les termes d'un cessez-le-feu. Il ne se soucie pas des intérêts des habitants de Gaza. Le Hamas peut maximiser ses gains en espérant que les États-Unis finiront par imposer un cessez-le-feu à Israël. Dans le cas improbable où ses hypothèses sur les États-Unis commenceraient à se révéler fausses, il pourrait tenter de retarder davantage l'offensive israélienne dans le sud de la bande de Gaza en revenant à la table des négociations.

Sans la menace réaliste d'une opération israélienne à Rafah, le Hamas n'a aucune raison de rechercher un cessez-le-feu. Et, compte tenu de sa stratégie, il ne peut y avoir de cessez-le-feu véritablement durable s’il parvient à reprendre le contrôle de Gaza.

Tant que les États-Unis s'opposeront à l'entrée d'Israël à Rafah, les dirigeants du Hamas pourront dormir relativement tranquilles dans leurs tunnels et refuser de négocier.

En fin de compte, la stratégie du Hamas et son refus de négocier dépendent entièrement des États-Unis dans la mesure où Washington agit comme il le souhaite – une perspective qui semble de plus en plus probable. Cela signifie que l'acteur clé qui déterminera si le Hamas s'assiéra à la table des négociations et si un cessez-le-feu est possible n'est pas Israël, mais les États-Unis.

En d'autres termes, si la route vers un cessez-le-feu durable à Gaza passe par Rafah, elle s'arrête d'abord à Washington.

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Références :

The Road to Ceasefire Leads Through the Rafah Offensive traduction Le Bloc-note

par Jacob Stoil & John Spencer, Newsweek, 11 03 2024

Jacob Stoil est titulaire de la chaire d'histoire appliquée au Modern War Institute (MWI) de West Point, directeur adjoint du Second World War Research Group (Amérique du Nord), administrateur de la Commission américaine pour l'histoire militaire et membre fondateur du groupe de travail international sur la guerre souterraine.

John Spencer est titulaire de la chaire d'études sur la guerre urbaine au Modern War Institute (MWI) de West Point, codirecteur du projet de guerre urbaine du MWI et animateur du "Urban Warfare Project Podcast". Il a servi pendant 25 ans comme soldat d'infanterie, dont deux périodes de combat en Irak. Il est l'auteur du livre "Connected Soldiers : Life, Leadership, and Social Connection in Modern War et co-auteur de Understanding Urban Warfare.