Lundi matin, les États-Unis ont refusé d'exercer leur droit de veto pour empêcher l'adoption d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU exigeant un "cessez-le-feu immédiat" à Gaza pour le mois de Ramadan, conduisant à un "cessez-le-feu durable", et la libération immédiate de tous les otages détenus par le Hamas.
Park Macdougald |
Conformément à la tradition Obama-Biden, les porte-parole de
l'administration se sont immédiatement précipités vers la presse pour expliquer
que l'abstention des États-Unis ne signifiait, en fait, rien du tout. Le
porte-parole du Conseil de sécurité nationale, John Kirby, a déclaré
lundi que le vote "ne représente pas un changement de politique",
tandis que l'ambassadrice à l'ONU, Linda Thomas-Greenfield, a souligné
que la résolution était "non contraignante" et que les États-Unis
s'étaient abstenus de la voter parce qu'elle ne condamnait pas le Hamas.
"Cette résolution reconnaît à juste titre que, pendant le mois de Ramadan,
nous devons nous réengager en faveur de la paix", a déclaré Mme
Thomas-Greenfield. N'est-ce pas gentil ?
Malgré ces désaveux, le message de la Maison Blanche était un
"fuck you" clair, et il a été reçu haut et fort à Jérusalem. Peu
après l'adoption de la résolution, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a
annulé le voyage prévu aux États-Unis de ses principaux collaborateurs, Ron
Dermer et Tzachi Hanegbi, pour protester contre le fait que Washington n'ait
pas exercé son droit de veto. Le bureau du ministre de la Défense Yoav Gallant,
qui est arrivé aux États-Unis lundi pour discuter du réapprovisionnement avec
ses homologues américains, a publié lundi une déclaration affirmant qu'Israël
n'avait "aucun droit moral d'arrêter la guerre à Gaza" tant que
les otages n'étaient pas ramenés chez eux. Benny Gantz, pour sa part, a publié
une déclaration assez humble le X, faisant l'éloge des États-Unis et exhortant
M. Netanyahu à se rendre à Washington, mais il a néanmoins insisté sur le fait
qu'Israël "a l'obligation morale de continuer à se battre jusqu'à
ce que les personnes enlevées soient ramenées et que la menace du Hamas soit
écartée".
Pour couronner une journée pleine de conneries, l'administration Biden
s'est ensuite retournée et a déclaré qu'elle ne comprenait pas pourquoi les
Israéliens étaient contrariés. Lors d'un second point de presse lundi, Kirby a
déclaré que la Maison Blanche était "perplexe" face à la réaction de
Netanyahou et a suggéré que le Premier ministre "essayait de créer la
perception « d’une lumière du jour » [une faille dans la confusion d’intérêts
avec Israël] alors que nous n'en n’avons pas besoin". L'un des responsables
américains anonymes toujours fiables a déclaré aux journalistes que la décision
de M. Netanyahu était "probablement motivée par la politique
intérieure". Après tout, le conseiller à la sécurité nationale Jake
Sullivan a annoncé, après sa rencontre avec M. Gallant, qu'il avait transmis
"le soutien indéfectible du président Biden à la sécurité et à la défense
d'Israël contre toutes les menaces, y compris l'Iran". Vous avez entendu ?
Qu'est-ce que vous ne comprenez pas dans l'expression "à toute
épreuve" ? Vous J - excusez-moi, vous les Israéliens - êtes trop
susceptibles.
The Scroll a demandé à plusieurs de ses collaborateurs réguliers leur
point de vue sur la résolution et ses retombées.
Armin Rosen, rédacteur
de Tablet, nous a écrit par courriel :
L'administration veut enfiler une aiguille impossible en mettant fin à la
guerre actuelle, en faisant progresser la "paix"
israélo-palestinienne, en apportant une détente avec l'Iran et en normalisant
les relations entre Israël et l'Arabie saoudite. Il s'agit d'un surréalisme
politique, d'un menu d'objectifs incohérents et inconciliables, mais une chose
les relie : selon l'administration, ces quatre objectifs seraient compromis
si Israël parachevait son humiliation du Hamas et du Jihad islamique
palestinien à Gaza. Le Hamas est le chef du peuple palestinien, un allié de
l'Iran et un allié de deux puissants gouvernements supposés pro-occidentaux (le
Qatar et la Turquie). Avec le Hamas hors de Gaza, il n'y a pas de soi-disant
horizon politique pour les Palestiniens, encore moins de base pour des
négociations de bonne foi avec l'Iran (pensent-ils), et peut-être un grief
permanent entre les États-Unis et un allié de l'OTAN (la Turquie) et l'un des
États étrangers les plus organiquement aimés par l'establishment américain de
centre-gauche, le Qatar , lequel abrite à la fois la direction politique du
Hamas et la plus grande base militaire américaine au Moyen-Orient.
La défaite du Hamas est
très gênante pour l'ensemble de la vision du monde de l'establishment politique
actuel, et elle menace
trop de grands projets sur lesquels des carrières - ainsi qu'une image
profondément ancrée de la vertu personnelle, nationale et tribale - ont été
mises en jeu. Ils [les États-Unis] feront tout ce qui est en leur pouvoir pour
empêcher que cela ne se produise. Il n'est probablement pas possible de
couper totalement les ventes d'armes à Israël, de soutenir des sanctions
importantes au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, de reconnaître
unilatéralement un État palestinien ou de prendre d'autres mesures radicales
qui aliéneraient les Américains pro-israéliens et anti-djihadistes, qui
représentent encore quelque 70 à 80 % de la population américaine.
Mais ils peuvent faire beaucoup de choses qui ne vont pas aussi loin,
notamment ne pas opposer leur veto aux résolutions du Conseil de sécurité des
Nations unies, même s'il s'agit essentiellement de produits diplomatiques
chinois et russes.
L'analyste géopolitique de Tablet a fait le lien entre cette décision et
l'impasse dans laquelle se trouvent les négociations sur les otages :
Comme je le dis depuis de nombreuses semaines, je pense que la plupart
ou la totalité des otages sont morts et que leurs corps sont enterrés au fond
des tunnels, ce qui explique pourquoi ces "négociations"
n'avancent pas et ne peuvent pas avancer. La raison pour laquelle les otages
sont morts est que leur déplacement est devenu un handicap stratégique évident,
tandis que leurs récits macabres de torture et de viol aux mains de leurs
ravisseurs n'auraient fait qu'enflammer davantage l'opinion israélienne et
peut-être mondiale contre le Hamas. Le rapport final sur leur mort ne sera
qu'une "goutte d'eau dans l'océan" à côté des "dizaines de
milliers de morts gazaouis".
Les Israéliens ne peuvent évidemment pas dire cela parce que c'est
spéculatif. Donner au Hamas une excuse pour tuer les otages survivants serait
moralement discutable et politiquement explosif, ce qui les obligerait à passer
par la case départ [de Gaza].
D'autre part, en supposant une probabilité de 80 % ou plus qu'une version
de ce scénario soit correcte, probabilité qui ne fait que croître avec le
temps, "le sort des otages" ne suffit plus à contraindre l'action
israélienne. D'où la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU soutenue par
les États-Unis.
L'administration Biden a besoin qu'Israël facilite deux choses :
1. L'évolution vers un État palestinien
2. Un "pacte de sécurité"
américano-saoudien, qui consiste essentiellement à faire signer aux Saoudiens
le réalignement des États-Unis sur l'Iran.
Ni le premier ni le deuxième de ces objectif n'est, de près ou de loin,
dans l'intérêt d'Israël. D'où le gros bâton.
La question est la suivante : compte tenu du réalignement, quelles
carottes les États-Unis ont-ils à offrir ? "La paix avec l'Arabie
saoudite, conditionnée par le point 1, est la réponse évidente. Mais encore une
fois, qui s'en soucie ? Ce que l'on voit donc, c'est du bâton.
Lee Smith, quant à lui, a critiqué la décision de Bibi
d'annuler le voyage de la délégation à Washington :
Je pense que c'était une erreur d'annuler la délégation de sécurité. Le
Premier ministre a peut-être laissé entendre qu'il savait que l'administration
Biden allait le faire, surtout après la tentative de la semaine dernière [le
projet de résolution US rejeté], mais ce n'est pas grave. Nous n’apprécions pas
d'avoir été trahis par notre allié de longue date, mais ce n'est pas grave :
Ils ont leurs intérêts, comme répondre aux besoins et aux désirs de leurs
électeurs dans le Michigan, et nous avons les nôtres, et c'est pourquoi Dermer
et Hanegbi vont parler à leurs homologues à Washington, pour expliquer les
intérêts d'un pays au milieu d'une guerre existentielle, etc. Il se peut
également qu'ils aient transmis un message très explicite de la part du Premier
ministre, destiné à être divulgué.
Vous envoyez la délégation de sécurité pour montrer que vous avez entendu
les Américains sur Rafah, puis vous passez à Rafah pour montrer que vous les
avez ignorés. C'est l'un des rares moyens d’action que les Israéliens ont sur
Biden : les faire paraître plus faibles en les ignorant.
Netanyahou a peut-être conclu, de manière assez raisonnable, que Biden
semblait déjà suffisamment faible sans son aide.
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Références :
March
25: Biden’s ‘Non-Binding’ Middle Finger to Israel, traduction Le
Bloc-note
par Park Macdougald The
Scroll 25 mars 2024
Park MacDougald,
qui a été chercheur en sciences politiques et collaborateur de titres
prestigieux aux États-Unis, est rédacteur en chef adjoint du magazine Tablet et
responsable de la rubrique The Scroll.