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18 janv. 2024

Pourquoi une solution à deux États peut rapidement devenir une solution finale, Louis René Beres

 « Le droit international n'est pas un pacte de suicide. Plutôt que de passer d'une position intenable à une autre, Israël doit comprendre qu'une solution à deux États peut rapidement devenir une solution finale »

Louis René Beres

Malgré des arguments logiques et historiques convaincants contre une solution à deux États, des demandes de plus en plus fortes en faveur d'un État palestinien sont exprimées dans le monde entier. En réponse, Israël et ses alliés devraient rappeler aux gouvernements et aux populations du monde entier que la "Palestine" n'a aucune intention de vivre pacifiquement aux côtés d'Israël, mais qu'elle entend au contraire remplacer l'État juif par étapes orchestrées et de plus en plus violentes. Tout engagement pris par les Palestiniens avant l'indépendance de rester démilitarisés pourrait rapidement, voire légalement, être remis en cause.

Une fois de plus, des voix disparates s'élèvent pour réclamer une "solution à deux États" au conflit israélo-palestinien. Pour la plupart, ces appels sont soit manipulateurs, soit naïfs, mais le danger qu'ils représentent pour Israël est existentiel : La Palestine ne coexisterait pas avec l'État souverain d'Israël, mais envisagerait de le remplacer. En substance, la position des deux États préconise la construction d'un État arabe de Palestine sur les ruines d'Israël.

Il s'agit d'une position qui affiche ouvertement une intention criminelle ou mens rea [culpanilité délibérée]à l'égard d'Israël. Il s'agit sans ambiguïté d'une solution à un seul État. Il s'agit d'une "solution finale".

D'autres difficultés juridiques et pratiques sont associées à la création d'un État palestinien. L'une des principales difficultés résiderait dans le fait que les Palestiniens ignoreraient délibérément toutes les normes jurisprudentielles pertinentes. Même si un nombre croissant d'États existants plaident en faveur d'une reconnaissance "officielle" de la "Palestine", ces approbations ne seraient pas juridiquement contraignantes. Selon la Convention sur les droits et devoirs des États (1934) - alias le traité de Montevideo sur la création d'un État - des critères spécifiques doivent être remplis par les États naissants ou en voie de l'être. Dans le cas présent, celui de la "Palestine", ces critères ne valident pas la reconnaissance.

En principe, les déclarations de soutien à l'autodétermination palestinienne ne seraient pas déraisonnables si la partie palestinienne s'engageait sincèrement en faveur d'une solution à deux États. Mais si le Fatah et le Hamas sont en profond désaccord, ils s'accordent sur un point fondamental. Il s'agit du mantra ritualisé depuis longtemps selon lequel l'existence d'Israël représente une abomination intolérable pour le Dar al-Islam (la terre de l'Islam) et il ne pourra jamais être autre chose que la "Palestine occupée".

Les États qui, dans la politique mondiale, recherchent une solution à deux États encouragent en fait la création d'un État terroriste irrédentiste. Cette position de défense - orientée vers le remplacement violent d'Israël par une insurrection criminelle prolongée - découle à l'origine d'un cadre diplomatique connu sous le nom de "Feuille de route pour la mise en œuvre d'une solution permanente pour deux États dans le conflit israélo-palestinien". Associée au refus palestinien de rejeter le "Plan par étapes" (Le Caire) de juin 1974, et à un djihad sans compromis visant à "libérer" progressivement toute la "Palestine occupée", la Feuille de route a mis en évidence un danger négligé pour Israël : Les États bien intentionnés favorables à la création d'un État ont été trompés par des espoirs trop optimistes ou manifestement truqués de "démilitarisation" palestinienne.

Le 14 juin 2009, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a accepté la création d'un État palestinien, mais il a subordonné cet accord à la "démilitarisation" des Palestiniens. Il a déclaré : "Dans tout accord de paix, le territoire sous contrôle palestinien doit être désarmé, avec de solides garanties de sécurité pour Israël. Ce que Netanyahou n'a pas noté, c'est qu'il ne peut y avoir de "solides garanties de sécurité pour Israël". Un nouvel État palestinien pourrait 1) se soustraire facilement et en toute impunité aux promesses faites à Israël avant l'indépendance, ou 2) compromettre gravement ces promesses en toute légalité. Il est compréhensible qu'à la suite des actes de barbarie du 7 octobre 2023, Netanyahou (rétabli dans ses fonctions de premier ministre) n'ait plus aucune confiance dans les "garanties de sécurité" palestiniennes.

En outre, en tant qu'État pleinement souverain, la Palestine pourrait estimer ne pas être liée par des accords antérieurs au moment de cette indépendance, même si ces accords comportent des garanties de la part des Nations unies et/ou des États-Unis. Cet argument s'applique même si les revendications palestiniennes de statut d'État intégral ne pourront jamais satisfaire les exigenes amplement codifiées du droit international faisant autorité. Il s'agirait de l'argument palestinien probable, même si la Palestine n'avait obtenu aucun droit légal à la résiliation du traité.

D'autres problèmes juridiques se poseraient. Étant donné que les traités authentiques ne peuvent lier que les États, tout accord entre une autorité palestinienne non étatique et l'État souverain d'Israël ne peut avoir qu'une efficacité tangible limitée. Mais que se passerait-il si le gouvernement palestinien était prêt à adhérer aux attentes juridiques "impératives" (fondamentales) des États, c'est-à-dire à se considérer comme lié par les accords non conventionnels qu'il avait conclus avant l'entrée en vigueur du traité ?

Même dans ces circonstances relativement favorables, le gouvernement palestinien pourrait conserver de nombreux prétextes juridiques pour jusfier une résiliation légale du traité. Il pourrait, par exemple, se retirer de l'accord en raison de ce qu'il considérerait comme une "violation matérielle". Il s'agirait d'une violation présumée de la part d'Israël qui compromettrait de manière crédible l'objet et/ou le but de l'accord.

D'autres options de manipulation palestinienne pourraient se présenter. Ainsi, la Palestine pourrait invoquer ce que le droit international appelle un "changement fondamental de circonstances" (rebus sic stantibus). Si un État palestinien devait se déclarer vulnérable à des dangers imprévus, peut-être de la part des forces d'autres armées arabes, il pourrait légalement mettre fin à son engagement précédemment contraignant de rester démilitarisé.

Il existe une autre méthode permettant d'invalider rapidement et légalement un accord de type traité obligeant un nouvel État palestinien à accepter la démilitarisation. Les motifs qui peuvent être invoqués en droit interne pour invalider des contrats peuvent également être appliqués en droit international aux traités et aux accords de type conventionnel. Cela signifie qu'un nouvel État de Palestine pourrait invoquer de prétendues erreurs de fait ou la contrainte comme motifs admissibles de résiliation de l'accord.

Tout traité ou accord similaire est nul si, au moment où il a été conclu, il est en conflit avec une règle "impérative" du droit international général - une règle de jus cogens [contraignante] acceptée et reconnue par la communauté internationale des États comme une règle à laquelle aucune dérogation n'est permise. Le droit de tous les États souverains de maintenir des forces militaires essentielles à la légitime défense étant certainement une règle de ce type, la Palestine, en fonction de sa forme particulière d'autorité constitutive, pourrait sans doute être en droit d'abroger tout accord qui aurait "forcé" sa démilitarisation.

Thomas Jefferson a écrit sur l'obligation et le droit international. Tout en affirmant que "les accords conclus entre une nation et une autre sont obligatoires pour elles en vertu de la même loi morale qui oblige les individus à respecter leurs accords...", il a également reconnu qu'"il existe des circonstances qui excusent parfois l'inexécution des contrats entre un homme et un autre homme ; il en va de même entre une nation et une autre". Plus précisément, Jefferson a déclaré que si l'exécution d'une obligation contractuelle devient "autodestructrice" pour une partie, "...la loi de l'auto-préservation l'emporte sur la loi de l'obligation envers les autres".

Historiquement, la démilitarisation a été un recours juridique applicable à des "zones", et non à des États entiers.  Cela pourrait offrir au nouvel État de Palestine un nouveau motif juridique pour se soustraire aux engagements de démilitarisation qu'il avait pris avant son indépendance. Il pourrait simplement être allégué que ces engagements sont incompatibles avec les bases traditionnelles ou westphaliennes du droit international faisant autorité, les rudiments trouvés dans les traités et les conventions, la coutume internationale et les "principes généraux du droit reconnus par les nations civilisées". Ces engagements, selon cet argument, ne seraient pas juridiquement contraignants.

En faisant ses choix stratégiques et juridiques, Israël ne devrait pas se sentir rassuré par une promesse prétendument légale de démilitarisation palestinienne. Si le gouvernement d'un nouvel État de Palestine décidait d'inviter des armées étrangères et/ou des terroristes sur son territoire (éventuellement après que l'autorité gouvernementale initiale ait été déplacée ou renversée par des forces anti-israéliennes encore plus militantes et islamiques), il pourrait le faire sans difficultés pratiques et sans violer le droit international.

Les plans qui prévalent pour la création d'un État palestinien reposent toujours sur les moribonds accords d'Oslo, des accords mal fondés qui ont été sapés et détruits par des violations flagrantes et persistantes de la part de la partie arabe. Le problème fondamental des accords d'Oslo qui a sous-tendu ces violations devrait maintenant être évident. Du côté arabe, les attentes formulées dans les accords d'Oslo n'ont jamais été rien de plus qu'une étape utile vers le démantèlement d'Israël. Du côté israélien, ces attentes ont été considérées, plus ou moins, comme un moyen prometteur d'éviter le terrorisme palestinien et de prévenir des agressions catastrophiques de la part des États arabes.

Cette asymétrie des attentes, jamais reconnue par les Nations unies, a renforcé le pouvoir arabe et affaibli Israël.  Aujourd'hui encore, les appels génocidaires des Palestiniens à "massacrer les Juifs" (plus récemment formulés comme des appels à "la Palestine du fleuve à la mer") n'ont pas réussi à atténuer l'enthousiasme international pour un nouvel État criminel. Une grande partie de la "communauté internationale" espère pouvoir accoucher d'un tel État tout en refusant de reconnaître les intentions génocidaires ouvertement déclarées de cet État.

[Recommandations à Israël] (*)

Qu'est-ce que cela signifie pour tout prétendu "remède" à la démilitarisation palestinienne et pour la sécurité d'Israël ? Avant tout, cela signifie qu'Israël devrait procéder à des changements rapides et profonds dans la manière dont il conceptualise le continuum politique de la coopération et du conflit. Israël doit cesser de prendre ses désirs pour des réalités et reconnaître les calculs à somme nulle de ses ennemis. Après la guerre de Gaza, cela signifie reconnaître les calculs de multiplication des forces du Hamas et de l'Iran.

Plus spécifiquement, en termes de droit international et d'ordre mondial, cela pourrait également signifier une volonté israélienne d'accepter le droit et l'obligation impératifs de "légitime défense anticipée".

Le monde arabe et l'Iran n'ont toujours à l'esprit qu'une "solution à un seul État" pour le Moyen-Orient. Il s'agit d'une "solution" qui élimine progressivement Israël. De manière corroborante, les cartes "officielles" de la "Palestine" montrent un État arabe déjà existant dans toute la Cisjordanie (Judée/Samarie), toute la bande de Gaza et tout Israël.

Ces cartes excluent toute référence à une quelconque population juive indigène et incluent les lieux saints des seuls chrétiens et musulmans. Un cartographe officiel, Khalil Takauji, a été chargé par l'Autorité palestinienne (AP) de concevoir et de localiser un Capitole palestinien. Celui-ci a été dessiné par Takauji sur le Mont des Oliviers à Jérusalem, directement au-dessus d'un ancien cimetière juif.

Le 1er septembre 1993, Yasser Arafat avait clairement affirmé que les accords d'Oslo feraient partie intégrante du plan par étapes de l'OLP de 1974 pour la destruction d'Israël :  "L'accord constituera la base d'un État palestinien indépendant, conformément à la résolution du Conseil national palestinien de 1974. Cette résolution du CNP appelle à "l'établissement d'une autorité nationale sur toute partie du territoire palestinien d'où Israël se retire ou est libéré".  Le 29 mai 1994, Rashid Abu Shbak, alors haut responsable de la sécurité de l'Autorité palestinienne, a fait une remarque de mauvais augure : "La lumière qui a brillé sur Gaza et Jéricho atteindra également le Néguev et la Galilée.

Depuis ces déclarations, rien n'a changé dans les définitions palestiniennes d'Israël et de la "Palestine". Cela vaut pour les dirigeants actuels du Hamas et de l'Autorité palestinienne. Qu'un groupe terroriste ou l'autre soit au pouvoir ne devrait pas faire de différence pour Israël.

Dans un sermon présenté à la télévision de l'Autorité palestinienne le 12 décembre 2014, et en présence du président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, Mahmoud al-Habbash, juge suprême de la charia et conseiller d'Abbas pour les affaires religieuses et islamiques, a déclaré : "Toute cette terre reviendra à l'Autorité palestinienne : "Toute cette terre nous reviendra, toutes nos terres occupées, tous nos droits en Palestine - notre État, l'héritage de notre peuple, l'héritage de nos ancêtres - tout cela nous reviendra, même si cela prend du temps."

Plus tôt, le 22 octobre 2014, Al-Habbash a réaffirmé que toute acceptation de l'existence physique d'Israël est à jamais interdite par la loi islamique : "Toute la terre de Palestine (c'est-à-dire le territoire qui comprend tout Israël) est un waqf (un patrimoine religieux inaliénable en vertu de la loi islamique) et une terre bénie. Il est interdit de la vendre, d'en attribuer la propriété ou d'en faciliter l'occupation, ne serait-ce que d'un millimètre".

Mais revenons à l'essentiel. Un État palestinien présumé souverain pourrait légalement abroger les engagements de démilitarisation qu'il a pris avant son indépendance. L'Autorité palestinienne s'est rendue coupable de multiples violations matérielles d'Oslo et de "graves violations" du droit de la guerre. L'Autorité palestinienne et le Hamas ne sont toujours pas disposés à revenir sur leurs appels génocidaires à l'anéantissement d'Israël.

Lorsqu'il a accepté l'idée d'un État palestinien ayant formellement accepté sa propre démilitarisation, Benjamin Netanyahou pensait avoir fait un pas raisonnable vers la réconciliation. Mais les dirigeants palestiniens et leurs alliés iraniens n'accepteront jamais, ni même n'envisageront, l'idée proposée par Israël d'un État palestinien "limité", en particulier un État qui ne disposerait pas des prérogatives fondamentales de l'autodéfense nationale. Que cela plaise ou non à Jérusalem, cela signifie que si Israël accepte un jour un État palestinien, il acceptera un ennemi intransigeant doté de tous les droits militaires normalement illimités de la souveraineté.

Cela ne signifie pas qu'Israël n'aura d'autre choix que de se rendre à une future "Palestine", mais que Jérusalem devrait élaborer ses politiques de sécurité après la guerre de Gaza en se fondant sur des attentes factuelles. Cela signifie notamment que les dirigeants israéliens devront évaluer la menace existentielle que représente la création d'un État palestinien dans le cadre d'un ensemble stratégique plus vaste, c'est-à-dire en parallèle avec les risques de plus en plus grands d'une guerre conventionnelle ou non conventionnelle catastrophique. Plus précisément, cela signifie que l'analyse doit se concentrer sur les synergies plausibles entre les agressions du Hamas et de l'Iran et la doctrine nucléaire problématique d'Israël. Faire autrement reviendrait à chercher à justifier les promesses immuablement discréditées de "démilitarisation" palestinienne.

Le droit international n'est pas un pacte de suicide. Plutôt que de passer d'une position intenable à une autre, Israël doit comprendre qu'une solution à deux États peut rapidement devenir une solution finale. Israël n'a aucune obligation morale ou juridique de découper un État ennemi irrédentiste dans son propre corps encore vivant.

(*) Titre ajouté par Le Bloc-note

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Références :

After the Gaza War: Why Palestine Would Be a Lawless and Militarized Statetraduction Le Bloc-note

par Louis René Beres, BESA Center Perspectives Paper No. 2,256, 18 janvier 2024

Louis René Beres, professeur émérite de droit international à Purdue, est l'auteur de nombreux ouvrages et articles traitant de la stratégie et de la guerre nucléaires, dont Apocalypse : Nuclear Catastrophe in World Politics (University of Chicago Press, 1980) et Security or Armageddon : Israel's Nuclear Strategy (D.C. Heath/Lexington, 1986). Son douzième ouvrage, Surviving Amid Chaos : Israel's Nuclear Strategy, a été publié par Rowman and Littlefield en 2016.