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21 janv. 2024

Pour donner du sens à la guerre Hamas-Israël, par Daniel Pipes

On trouve dans l’article ci-dessous une transcription légèrement raccourcie des remarques de Daniel Pipes, président du Middle East Forum, durant le webinar, suivie d'une séance de questions-réponses. 

Daniel Pipes

Je viens de terminer un livre sur le conflit israélo-palestinien et j'observe donc avec un intérêt particulier ce qui s'est passé depuis le 7 octobre. J'aimerais aborder cinq sujets qui me semblent quelque peu mystificateurs et que je vais tenter d'éclaircir. Je passerai assez rapidement sur quatre d'entre eux et m'attarderai un peu sur le dernier.

Premier point : Qu'est-ce qui ne va pas avec l'armée israélienne et, plus largement, avec son système de sécurité ? Comment ont-ils pu laisser se produire une chose comme le 7 octobre ? Réponse : l'establishment sioniste, puis l'establishment israélien de la sécurité - l'armée, les services de renseignement, les forces de l'ordre - ont connu un déclin précipité au cours du dernier demi-siècle. Les sionistes ont été très intelligents et ont accompli beaucoup de choses alors qu'ils avaient peu de moyens, et les Israéliens ont remporté une extraordinaire guerre d'indépendance en 1948-49, puis ce qui a probablement été la victoire la plus déséquilibrée de l'histoire moderne en 1967.

Depuis lors, c'est-à-dire depuis plus d'un demi-siècle, ils ont décliné. En 1973, ils n'ont pas su voir venir la Syrie et l'Égypte. D'autres problèmes terribles ont suivi. En 1993, les accords d'Oslo n'avaient aucun sens : faire venir son ennemi le plus violent et le plus véhément pour en faire son voisin presque souverain ? En 2005, quitter Gaza et permettre à son ennemi d'y prendre le contrôle ? Les services de sécurité israéliens ne sont plus ce qu'ils étaient. Ainsi, 2023 n'est pas un grand étonnement après 1973, 1993 et 2005. Cet establishment a besoin d'un véritable coup de botte au train, comme celui qu'il vient de recevoir, pour reconnaître ses profonds problèmes.

Deuxièmement, alors que les Israéliens ont réagi au 7 octobre en parlant beaucoup de victoire, ce qui était de la musique à mes oreilles, ils sont rapidement revenus à une approche de non-victoire. C'est ce que l'on constate au cours des trois derniers mois, avec ce retour en arrière. Par exemple, même si les travailleurs de Gaza sont aujourd'hui considérés rétrospectivement comme des espions, les Israéliens ont immédiatement autorisé l'entrée de quelque 6.000 travailleurs de Cisjordanie - qui pourraient vraisemblablement être des espions eux aussi. Le gouvernement israélien a décidé d'envoyer de l'argent à l'Autorité palestinienne. Il a apaisé le Qatar en tant qu'intermédiaire. Il a approvisionné Gaza en carburant et en eau. Il a ignoré la menace des constructions en Cisjordanie. Il est question de permettre aux dirigeants du Hamas de fuir Gaza et de s'installer ailleurs, peut-être au Qatar ou en Turquie. Le soutien électoral a augmenté, non pas en faveur de ceux qui veulent mettre fin à la présence du Hamas, mais en faveur de ceux qui sont plus modérés et moins désireux de remporter la victoire.

Je ne vois donc pas de changement fondamental. Comme aux États-Unis après le 11 septembre, lorsque "tout a changé", c'est ce que l'on a entendu en Israël après le 7 octobre. Mais je ne pense pas que tout ait changé.

Troisièmement, les réactions au 7 octobre sont doubles. Dans le monde entier, des États-Unis à l'Arabie saoudite en passant par l'Inde, l'establishment a favorisé Israël tandis que les islamistes et les gauchistes ont favorisé le Hamas. On n'y a pas prêté beaucoup d'attention, mais la Chambre des représentants des États-Unis a voté à 412 voix contre 10 en faveur d'Israël, dans une résolution très ferme, juste après le massacre. Le Sénat a voté à cent contre zéro. Joe Biden a fait une déclaration très ferme. Des personnalités libérales comme John Fetterman, sénateur de Pennsylvanie, se sont prononcées très fermement en faveur d'Israël. De nombreux dirigeants européens se sont rendus en Israël, en signe de solidarité.

Mais au fil du temps, la sympathie pour Israël s'est érodée et celle pour le Hamas s'est accrue. Il y a eu un profond malaise à l'idée qu'Israël fasse à peu près ce que les États-Unis et leurs alliés ont fait contre Daesh - entrer et éliminer l'ennemi. Les Israéliens perdent constamment leurs soutiens.

Quatrième point : le Hamas a une logique unique. Je ne connais pas d'exemple historique qui lui soit comparable. Le Hamas cherche la mort et la destruction. Il ne cherche pas à gagner sur le champ de bataille, mais à perdre. Il cherche à ce que le peuple qu'il gouverne soit blessé, bombardé, sans abri, affamé, mort. Il utilise les Gazaouis comme de la chair à canon, mais pas la chair à canon habituelle qui va attaquer l'ennemi. Il s'agit d'une chair à canon qui souffre.

Vous pouvez constater à quel point le Hamas est différent du Hezbollah au Liban ou de l'Autorité palestinienne en Cisjordanie, qui sont tous deux beaucoup plus conventionnels. Ils évaluent, ils regardent, ils créent des problèmes, ils jouent, ils ne veulent pas se faire écraser. En 2006, le Hezbollah a tué trois Israéliens et en a capturé deux autres. Juste après cette guerre, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré : "S'il y avait ne serait-ce qu'un pour cent de chance que l'opération de capture du 11 juillet conduise à une guerre comme celle qui s'est produite, l'aurais-je fait ? Je dirais non, absolument pas".

Il pensait qu'il était entendu qu'il fallait laisser mijoter les choses, ce qui est en fait le cas actuellement. Le Hezbollah et Israël sont en train de mijoter. Le Hezbollah veille à ne pas provoquer, à ne pas faire voler des F-35 au-dessus du Liban et à ne pas bombarder des cibles. Le Hamas n'est pas prudent. Le Hamas veut la mort et la destruction.

La Cisjordanie, sous l'autorité de l'Autorité palestinienne, est beaucoup plus prudente que le Hamas. Mahmoud Abbas joue le jeu. Il travaille avec les Israéliens ici, il les assassine là, mais il est prudent. Il ne veut pas être bombardé. Il ne veut pas être renversé. Il ne veut pas être martelé comme le Hamas.

Le Hamas est unique dans cette logique qui consiste à perdre pour s'attirer la sympathie de ses alliés, en particulier les islamistes du monde entier et la gauche en général, la gauche dure en particulier. Et cela fonctionne dans une certaine mesure. Comme je viens de le dire, le soutien à Israël s'est érodé au cours des trois derniers mois.

Mon dernier point est d'essayer de comprendre les alliés du Hamas. Ils se sont engagés dans une campagne difficile à comprendre. Elle est extrêmement agressive. Elle semble contre-productive. Par exemple, les éléments pro-Hamas aux États-Unis ont perturbé des défilés, le défilé de Thanksgiving à New York, le défilé du Rose Bowl à Pasadena. Ils ont perturbé le trafic, les principales voies d'accès à des aéroports tels que LAX et JFK. Ils ont bloqué Manhattan tôt lundi matin, bloquant des ponts et un tunnel, créant des dégâts. Ils ont attaqué des cérémonies chrétiennes, y compris une manifestation de chants de Noël destinée à collecter des fonds pour les aveugles à Melbourne, en Australie, et une fête de Noël pour des agents démocrates à Détroit. Ils s'en sont pris à l'armée américaine. Ils s'en prennent aux bases de l'armée de l'air. Ils ont donné une sérénade à Lloyd Austin, le secrétaire américain à la défense, avec d'horribles chansonnettes devant son domicile le matin de Noël. Ils se sont rendus odieux.

À un autre niveau, les Houthis font la même chose en mer Rouge, en se rendant odieux. Ils n'ont pas grand-chose à gagner à interrompre le commerce mondial. Ils ne gagnent rien à ce que les navires contournent la Corne de l'Afrique plutôt que de passer par le canal de Suez. Cela semble gratuit. Par ailleurs, les milices soutenues par l'Iran en Syrie et en Irak ont attaqué les forces américaines plus d'une centaine de fois au cours des cent jours écoulés depuis le 7 octobre, soit plus d'une fois par jour.

Alors, entre ces pitreries en Occident et ces attaques meurtrières au Moyen-Orient, que se passe-t-il ? Ces actions hostiles sont-elles complaisantes ou font-elles partie d'une stratégie intelligente ?

Les alliés du Hamas ne cherchent manifestement pas à se faire de nouveaux amis. Au contraire, ils imitent la tactique du Hamas, à savoir le martyre, pour gagner le soutien des islamistes et des gauchistes. Alors que les djihadistes recherchent généralement des victoires sur le champ de bataille, le Hamas entame sciemment des guerres contre un ennemi plus puissant, souhaitant être vaincu et revendiquant le statut de victime. La destruction et la mort renforcent son attrait. Il gagne politiquement en faisant mal sur le plan militaire.

Dans cet esprit, les groupes occidentaux et du Moyen-Orient aspirent également à gagner la sympathie et le soutien en devenant des martyrs. Les fêtes de Noël, les défilés de football, la circulation à New York et la Maison Blanche : ils poussent la police à arrêter et peut-être à tabasser les manifestants. Les attaques contre le transport maritime mondial et les attaques contre les forces américaines provoquent une réponse des États-Unis.

Par conséquent, massacrer des Israéliens, perturber le commerce mondial et gêner les automobilistes américains n'est pas l'objectif premier, mais un moyen d'appâter les armées israélienne et américaine et de gagner un nouveau soutien pour le Hamas et ses partisans. Mais cela risque de tout compromettre. Le massacre du 7 octobre met en péril l'existence du Hamas et les autres organisations prennent des risques similaires.

 

Questions et réponses

Q : La solution des deux États est-elle essentiellement morte ? A-t-elle toujours été un fantasme occidental ?

R : Je ne pense pas qu'elle soit morte. Oui, c'est un fantasme aujourd'hui, étant donné que l'AP et tous les autres groupes palestiniens cherchent à détruire Israël. Mais un jour, s'il y a une victoire d'Israël et une défaite palestinienne, si les Palestiniens abandonnent leurs objectifs de rejet, oui, il pourra y avoir deux Etats. Ce n'est donc pas possible dans l'immédiat, mais c'est concevable en tant que possibilité abstraite.

Q : Les objectifs israéliens de la guerre contre le Hamas sont-ils réalistes à la lumière de la politique mondiale et de l'idéologie bien ancrée du Hamas à Gaza ?

R : Nous avons tous appelé à la destruction, à l'élimination du Hamas, moi y compris, dès le début. Aujourd'hui, cent jours plus tard, il est difficile de savoir ce que cela signifie exactement. Je pense que cela signifie : (1) la fin du contrôle du Hamas à Gaza, et (2) la réduction ou peut-être même l'élimination de son financement par les États. Ses idées continueront d'exister, mais ce n’est pas le cas de l'organisation. Donc, non, je ne pense pas que ce soit irréaliste. C'est réaliste, et les Israéliens sont déterminés. Le Premier ministre Netanyahu a prononcé un discours il y a deux jours à peine, dans lequel il a déclaré : "Nous sommes sur le chemin de la victoire et nous ne nous arrêterons pas tant que nous n'aurons pas remporté la victoire." Ils semblent déterminés. Tant mieux pour eux.

Q : Compte tenu de la géopolitique, Israël peut-il vraiment s'extraire de la vassalité à l'égard des États-Unis ?

R : Vassalité est un terme fort. Les États-Unis sont une grande puissance, la grande puissance. Israël est un petit pays : 330 millions d'habitants contre 10 millions. Israël ne peut pas construire ses propres avions de chasse, ses propres navires de guerre, etc. Israël a besoin d'alliés, et en particulier des États-Unis, mais il y a à marchander. Les Israéliens peuvent négocier non seulement de l'argent, mais aussi des moyens de pression. Les Israéliens disposent d'alternatives vers lesquelles ils peuvent se tourner. Les États-Unis ont besoin d'Israël. Ce n'est pas seulement Israël qui a besoin des États-Unis. Le Moyen-Orient est au centre du monde. Il est extrêmement instable. Il n'y a pas d'autre pays dans la région qui partage nos valeurs et avec lequel nous avons une alliance stratégique. Il en a été ainsi pour la Turquie, mais ce n'est plus le cas depuis 20 ans. Israël est donc seul au Moyen-Orient. Je ne vois pas de vassalité. Il s'agit de tensions inhérentes à une alliance entre une grande puissance et une petite puissance.

Q : Que faudra-t-il pour que les États-Unis exigent une reddition du Hamas plutôt qu'un cessez-le-feu ?

R : Les États-Unis sont devenus un allié militaire actif d'Israël, sans le dire. Ces derniers jours, les États-Unis ont tué un certain nombre de Houthis et attaqué un certain nombre d'installations houthies au Yémen. Cette action n'a pas été présentée comme utile à Israël, mais plutôt comme une action en faveur de la liberté de navigation. Mais en fait, les États-Unis et Israël sont du même côté et leur alliance s'est renforcée. Par ailleurs, en octobre, un navire américain a abattu des missiles en provenance du Yémen et à destination d'Israël, ce qui n'était jamais arrivé auparavant. Les choses changent donc, et même si les deux parties, israélienne et américaine, sont réticentes à prendre acte de ce que je viens de dire, la nouvelle réalité existe.

Q : Vous avez évoqué l'opposition entre l'establishment et le soutien islamiste et gauchiste au Hamas. L'establishment peut-il rester ferme avec Israël ou cédera-t-il à la pression des islamistes et des gauchistes ?

R : Il y a trois groupes, essentiellement. La cohorte anti-israélienne (d'ailleurs, je n'utilise pas le terme pro-palestinien, ils ne sont pas du tout pro-palestiniens, ils sont anti-israéliens) qui est principalement islamiste et gauchiste ; Jeremy Corbyn, par exemple, s'est joint à l'effort sud-africain contre Israël à la Cour internationale de justice (CIJ). Ensuite, il y a ceux qui soutiennent fermement Israël, de manière inébranlable. Enfin, il y a ceux qui se trouvent au milieu et qui se sentent sous pression. Joe Biden en est un parfait exemple. Il est d'instinct favorable à Israël, mais beaucoup de membres du parti démocrate lui sont hostiles. Il essaie donc de jouer sur les deux tableaux, de satisfaire les deux camps. Les missions diplomatiques d'Antony Blinken reflètent la confusion de cette position.

La position de ce groupe intermédiaire, qui comprend de nombreux gouvernements occidentaux, n'est pas claire. Mais jusqu'à présent, il a essentiellement soutenu Israël, en lui fournissant des armes et en se rangeant à ses côtés sur le plan militaire. Il a vacillé. Elle n'est plus là où elle était il y a trois mois, mais elle est toujours là. Je pense que les faits suggèrent que ce groupe intermédiaire soutiendra Israël de manière hésitante.

Q : Compte tenu de ce que nous savons aujourd'hui de la portée, de l'étendue et de la sophistication de la ville souterraine et des systèmes de tunnels à Gaza, comment cela a-t-il pu être développé à l'insu des services de renseignement israéliens ?

R : Les Israéliens connaissaient l'existence des tunnels, qu'ils appelaient le métro. Ce qu'ils ignoraient, c'est que le Hamas était prêt à attaquer comme il l'a fait le 7 octobre. Ils avaient l'impression que le Hamas s'installait et devenait davantage une autorité dirigeante tout en perdant son zèle révolutionnaire. Le Hamas a joué le jeu de cette croyance et l'a encouragée. Les Israéliens étaient aveugles à ce qu'ils voyaient. Ils voyaient la réalité, comme l'indiquent de nombreux rapports d'Israéliens dans l'armée, mais le haut commandement était aveugle. Il s'agissait d'un problème conceptuel, pas d'un problème de renseignement. C'est un peu comme le problème conceptuel que les Israéliens ont eu en 1973 lorsqu'ils ont supposé qu'Anouar el-Sadate n'attaquerait pas tant qu'il ne disposerait pas d'avions plus perfectionnés. Ils l'ont supposé et n'ont donc pas vu venir ce qui se passait à cause du concept, en hébreu, conceptzia. Ils avaient une conceptzia à l'époque, ils en ont une aujourd'hui.

Q : La CIJ semble être anti-israélienne par principe. Comment Israël doit-il réagir, quelle que soit la décision de la CIJ ?

R : Les Israéliens font ce qu'il faut, c'est-à-dire aller présenter leur dossier à quelqu'un qui jouit d'une bonne réputation internationale. Il se peut qu'ils perdent, mais je ne sais pas si c'est important. Encore une fois, il y a trois parties : ceux qui soutiennent Israël, ceux qui s'opposent à Israël et ceux qui se trouvent au milieu et qui ne sont pas tout à fait sûrs. Toute l'attention se concentre sur la dernière partie. Sera-t-elle influencée par la CIJ ? Sera-t-elle influencée par la couverture médiatique ? Au fil du temps, cette tranche entre les factions pro et anti-Israël se réduit. De plus en plus de gens, surtout au cours des trois derniers mois, ont choisi leur camp et savent ce qu'ils pensent. Mon opinion, par exemple, ne sera pas modifiée par le verdict de la CIJ, et la vôtre non plus, probablement. Le nombre de personnes dont l'opinion sera affectée par le verdict de la CIJ n'est probablement pas très élevé.

Q : Si la CIJ se prononce contre Israël, n'est-il pas possible que tous les fonctionnaires, les ministres et même le Premier ministre soient arrêtés lors de leurs déplacements à l'étranger ?

R : Je ne suis pas du genre à vous parler des détails juridiques, mais un verdict de la CIJ contre Israël pourrait compliquer la vie des Israéliens dans les pays qui acceptent ce verdict. On peut supposer que les Israéliens savent de quels pays il s'agit et, probablement, ce sont des pays où ils ne voudraient pas aller de toute façon.

Q : Où se situe la Chine dans tout cela ?

R : La Chine a entretenu d'assez bonnes relations avec Israël pendant des décennies, mais celles-ci se sont sérieusement dégradées. TikTok, le média social chinois, est farouchement antisémite et le gouvernement chinois se range de plus en plus du côté des forces anti-israéliennes, l'Iran en particulier. La Chine sort de la zone neutre pour entrer dans la zone hostile. C'est parfaitement logique : les États-Unis sont proches d'Israël, la Chine n'aime donc pas Israël.

Q : Comment Israël ramènera-t-il les personnes kidnappées en vie ?

R : Je ne mettrais pas l'accent sur les otages et je n'en ferais pas un centre d'intérêt majeur pour le public, mais je me concentrerais plutôt sur la victoire. Le moyen de les ramener en vie n'est certainement pas d'utiliser des rubans jaunes et des photos des disparus ; cela reviendrait à commettre une énorme erreur. L'intelligence consiste à écarter le sujet et à dire aux familles des otages : "Nous pensons beaucoup à vos proches. Nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir. Nous ne le faisons pas en négociant avec le Qatar et le Hamas. Nous le faisons en gagnant."

Q : Comment voyez-vous l'évolution du face-à-face entre Israël et le Hezbollah ?

R : Comme je l'ai déjà dit, le Hezbollah joue le jeu et connaît les règles du jeu, tout comme Israël. En 2006, les Israéliens ont enfreint les règles du jeu, mais il est peu probable qu'ils le fassent aujourd'hui, étant donné qu'ils se concentrent sur Gaza. Le Hezbollah ne veut pas être écrasé, il voit que les Israéliens sont en colère, et je m'attends donc à ce que les hostilités de faible intensité des trois derniers mois se poursuivent. Je serais surpris que cela dégénère en une guerre totale comme en 2006 ou aujourd'hui à Gaza.

Q : Que faut-il pour permettre aux Israéliens du nord du pays de rentrer chez eux ?

R : C'est un gros problème, car les hostilités du Hezbollah ont perturbé leur vie et ont poussé des centaines de milliers d'Israéliens à s'éloigner de la frontière nord avec le Liban. Les Israéliens doivent conclure un de ces accords implicites avec le Hezbollah. Pour ce faire, ils doivent faire comprendre au Hezbollah que la situation actuelle est inacceptable et qu'elle ne peut plus durer. Le Hezbollah reconnaîtra qu'il ne peut pas éloigner indéfiniment autant d'Israéliens de leurs maisons. Mais les Israéliens sont débordés et se concentrent davantage sur Gaza que sur le Liban, si bien que cela ne s'est pas encore produit.

Q : Avez-vous une idée de qui gouvernera Gaza après la victoire d'Israël ?

R : Je ne sais pas qui le fera. Je sais qui je veux. Beaucoup de Gazaouis méprisent le Hamas et le fait qu'il les utilise comme chair à canon. Ils veulent une vie normale, c'est-à-dire une vie comparable à celle de l'Égypte ou de la Jordanie, où on n’est pas particulièrement amical envers Israël, mais où on vit aux côtés d'Israël sans causer de problèmes. Je pense qu'il existe une cohorte de Gazaouis qui travailleront avec Israël pour mettre en place une administration, une force de police et gouverner l'entité en tant qu'agence quasi-gouvernementale. J'espère vraiment que les Israéliens iront dans cette direction et que le gouvernement américain ne se mettra pas en travers de leur chemin. C'est ce qu'il y a de mieux pour Gaza et pour Israël.

Q : A quoi ressemblera finalement la défaite totale du Hamas par Israël ? Y aura-t-il une réunion et la signature d'un document de reddition, comme au Japon ou en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, ou n'y aura-t-il plus de Hamasniks pour se rendre, et la reddition sera assumée ?

R : Il n'y a pas eu de cérémonie de reddition depuis 1945, pour autant que je sache, et il n'y en aura pas non plus aujourd'hui. Mais il y aura un effondrement de l'autorité du Hamas et de la capacité du Hamas à pénétrer dans la bande de Gaza et à provoquer des hostilités contre Israël. Cela constituera une victoire pour Israël.

Q : Étant donné que le Hamas ne cherche pas la victoire à Gaza, comment Israël déterminera-t-il son point d'arrivée dans la guerre ?

R : Le Hamas recherche la victoire, mais pas sur le champ de bataille. Il cherche la victoire en trouvant des soutiens dans le monde entier. Israël doit empêcher le Hamas de détenir un quelconque pouvoir à Gaza.

Q : Dans quelle mesure le conflit avec le Hamas consiste-t-il à s'attaquer à un symptôme et non au virus, c'est-à-dire à l'Iran ?

R : L'Iran est la tête de l'hydre et il est à l'origine des attaques en Irak, en Syrie, au Liban, à Gaza et au Yémen. Qui sait où ils iront ensuite ? [Il faut s'attaquer au régime iranien, et en particulier à son infrastructure nucléaire. Le gouvernement américain se montre préoccupé, mais il a clairement indiqué qu'il ne ferait rien. Qui sait ? Il pourrait s'agir d'une feinte, mais à ce stade, il n'y a aucune raison de ne pas y croire. L'Iran est la source ultime de nombreux problèmes au Moyen-Orient, mais le gouvernement américain n'a jamais eu pour objectif, depuis 1979, de renverser la République islamique. Nous n'avons jamais aidé les dissidents à faire quoi que ce soit, en particulier en 2009. Il y a plus d'un an, nous n'avons pas réagi aux manifestations de Mahsa Amini dans tout l'Iran. Il est temps d'affronter la véritable source de la plupart des problèmes du Moyen-Orient, à savoir Téhéran.

Q : Les journalistes qui ont accompagné le déchaînement meurtrier du Hamas ont-ils eu des conséquences ?

R : Ils ont été remarqués et signalés, mais je ne sais pas s'ils ont été licenciés, et encore moins pénalisés.

Q : Pendant ce temps, les massacres en Russie et en Ukraine se poursuivent sans que les civils innocents tués ne soulèvent de tollé. Pourquoi cette approche différente ? Pourquoi, lorsqu'Israël agit, y a-t-il un examen aussi minutieux ?

R : Pas seulement en Ukraine, mais êtes-vous au courant de l'insurrection du 27/10, pas du 7/10 mais du 27/10, qui a eu lieu au Myanmar, en Birmanie ? Il s'agit d'un effort majeur de la part des insurgés pour renverser l'horrible gouvernement militaire en place, mais il faut chercher longtemps pour trouver des informations à ce sujet, sans parler du Soudan, de l'est du Congo ou d'autres zones de conflit beaucoup plus vastes. Lorsque des Occidentaux combattent des non-Occidentaux - des Américains en Irak ou des Français en Afrique de l'Ouest - cela fait la une, et d'autant plus lorsqu'il s'agit d'Occidentaux juifs. Cela attire beaucoup plus l'attention que lorsque ce sont des non-Occidentaux qui se battent contre des non-Occidentaux.

Q : Qu'en est-il de la Russie ? De quel côté se trouve-t-elle ?

R : Le 7 octobre a eu de nombreuses implications là où on ne s'y attend pas, comme la présidence de l'université de Harvard. Une autre est de lier de plus en plus étroitement les Russes à l'Iran. Cela dit, les Russes n'ont pas besoin de s'attirer davantage d'inimitiés, et ils ne créent donc pas gratuitement des problèmes à Israël. Il existe un certain cessez-le-feu entre la Russie et Israël, en particulier en Syrie. Ils évitent de s'attirer des ennuis mutuels. Peut-être que cela se produira à l'avenir, mais pas maintenant.

Q : Y a-t-il un risque d'escalade de la guerre entre Israël et le Hamas ? Y a-t-il des indications que cela pourrait s'étendre à l'Iran, et que les États-Unis et les puissances mondiales pourraient s'impliquer dans ce conflit ?

R : C'est déjà le cas. Prenons l'exemple du Yémen, des États-Unis, de la Grande-Bretagne. Cela pourrait s'étendre au Liban. Je ne pense pas que le gouvernement syrien cherche à s'attirer les foudres d'Israël, mais la situation pourrait s'étendre à d'autres pays. Des rapports suggèrent que des insurgés et des conspirateurs iraniens sont en marche en Jordanie. Les implications sont bien plus nombreuses que je ne l'aurais imaginé il y a trois mois. En particulier, la perturbation du commerce mondial par les Houthis peut entraîner toutes sortes de problèmes. Que se passera-t-il s'ils font exploser un pétrolier ?

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Références :

Daniel Pipes: Making Sense of the Hamas-Israel War, traduction Le Bloc-note

Par Daniel Pipes, Middle East Forum Webinar, le 15 janvier 2024

Daniel Pipes (DanielPipes.org, @DanielPipes) , né en 1949 à Boston dans le Massachusetts, est un universitaire et  journaliste américain, spécialiste reconnu  des questions relatives à l’Islam et son influence sur la politique internationale, au Moyen-Orient en particulier. Il est président du Middle East Forum et auteur de l'ouvrage Islamism vs. The West : 35 Years of Geopolitical Struggle (Wicked Son), qui vient d'être publié. © 2023 par Daniel Pipes. Tous droits réservés.