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18 janv. 2024

La radicalisation populaire assombrit l'avenir de Gaza, par Ilan Berman

La campagne militaire israélienne contre l'organisation terroriste Hamas est peut-être encore en cours, mais l'attention internationale se concentre déjà sur le "jour d'après" dans la bande de Gaza. 

Ilan Berman

La grande majorité de ces conversations reposent sur l'idée que le Hamas est profondément impopulaire et qu'il serait rapidement rejeté par la rue palestinienne si une alternative viable lui était présentée.

Il existe en effet de nombreuses preuves à cet égard, notamment des témoignages d'excès flagrants du Hamas relayés par des habitants déplacés de Gaza et des condamnations publiques croissantes de la part de ceux qui sont pris entre ses feux et ceux d'Israël. Malgré cela, il y a de nombreuses raisons de penser que la situation sur le terrain est beaucoup plus compliquée que les experts et les décideurs politiques occidentaux ne sont enclins à le croire.

Un nouveau sondage réalisé le mois dernier par le Palestinian Center for Policy and Survey Research (PCPSR), largement considéré comme le principal institut d'opinion publique dans les territoires palestiniens, a mis en évidence cette complexité. L'enquête, menée auprès de plus de 1.200 adultes palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, a révélé qu'à la suite du massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre, le soutien au groupe militant a bondi en Cisjordanie et augmenté modestement dans la bande de Gaza également.

L'étude a en outre révélé que l'opinion publique soutenait largement l'offensive du Hamas, qui s'est traduite par le plus grand massacre de Juifs depuis l'Holocauste. Près des trois quarts des personnes interrogées dans le cadre du sondage du PCPSR ont approuvé les actions du groupe terroriste, les qualifiant de justifiées. (Notamment, de nombreuses personnes interrogées semblaient ne pas connaître ou ne pas croire l'ampleur des atrocités perpétrées par le Hamas, qui comprennent d'horribles incidents de viols et de violences sexuelles ainsi que l'exécution sommaire d'enfants et de civils âgés).

Ce soutien reflète une tendance plus large et profondément troublante. Les résultats de l'enquête montrent que le soutien général à la lutte armée contre Israël a augmenté de "dix points de pourcentage par rapport à il y a trois mois" dans les territoires palestiniens, "plus de 60 % d'entre eux estimant qu'il s'agit du meilleur moyen de mettre fin à l'occupation israélienne". En Cisjordanie, les résultats sont encore plus prononcés, le soutien à la violence atteignant "près de 70 %".

Ces sentiments ont une importance considérable pour toute discussion sur ce qui se passera à Gaza après la défaite du Hamas. Certains ont suggéré que l'Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas pourrait simplement intervenir et prendre le contrôle, en administrant Gaza en plus de la Cisjordanie. Pourtant, comme le montrent clairement les résultats du sondage du PCPSR, l'Autorité palestinienne manque de crédibilité auprès des Palestiniens ordinaires et n'est tout simplement pas une option viable. En effet, l'enquête a révélé que le soutien à Abbas et à sa faction du Fatah a considérablement diminué, environ deux tiers des personnes interrogées appelant désormais à la "dissolution" pure et simple de l'Autorité palestinienne.

Israël est conscient de ces dures réalités. Fin décembre, le conseiller israélien à la sécurité nationale, Tzachi Hanegbi, a publié une tribune dans le journal saoudien Elaph, exposant les idées de son gouvernement sur ce qui se passera après la guerre entre Israël et le Hamas.

M. Hanegbi a clairement indiqué qu'Israël cherchait à soutenir une "entité palestinienne modérée" pour gouverner Gaza à la place du Hamas, et a souligné que l'Autorité palestinienne, du moins telle qu'elle est actuellement constituée, n'était pas cette entité. "Israël est conscient du désir de la communauté internationale d'intégrer l'Autorité palestinienne dans la bande de Gaza au lendemain de la chute du Hamas", a-t-il écrit. "Nous disons clairement que pour que cela se produise, l'Autorité palestinienne devra subir une réforme fondamentale".

La position de M. Hanegbi reflète une lecture sobre de la situation actuelle dans les territoires palestiniens. Des années de corruption et de mauvaise gestion ont profondément discrédité Abbas et ses acolytes auprès du peuple palestinien. Dans le même temps, le soutien international (y compris celui des États-Unis) a perpétué un statu quo maléfique et jeté les bases d'une polarisation et d'une radicalisation profondes de la politique palestinienne.

Aujourd'hui, Israël et la communauté internationale doivent faire face au fait que, loin d'être captifs du Hamas, la majorité des Palestiniens en sont venus à considérer le groupe comme leur porte-drapeau.  Changer ces perceptions sera sans doute la partie la plus difficile de la construction d'une nouvelle politique palestinienne, qualitativement différente, dans les années à venir.

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Références :

Grassroots radicalism is clouding Gaza’s future, traduction Le Bloc-note

par  Ilan Berman, The Hill, 16 janvier  2024

Ilan Berman est premier vice-président du Conseil américain de politique étrangère à Washington.