L'agressivité durable du Hezbollah à l'égard d'Israël reflète les concepts idéologiques sur lesquels il a été fondé.
Dr Yusri Khizran |
Le patronage iranien a toujours été le pilier
de la force du Hezbollah, mais le patronage le plus important dont il a
bénéficié est celui de la Syrie. Damas a accordé sa protection au Hezbollah et garanti son existence en tant qu'organisation
militaire dans le cadre de l'accord de Ṭaif de 1989, qui a mis fin à la
deuxième guerre civile libanaise. Pendant des décennies, la Syrie a servi de
canal pour la fourniture d'armes au Hezbollah.
Depuis les années 1980, alors que l'alliance
avec la Syrie se resserrait, le Hezbollah a entamé un processus de
"libanisation". Ce processus comportait trois éléments principaux. Le
premier est la prétendue limitation de la lutte armée aux limites géographiques
du Liban, face à la présence continue des FDI au Sud-Liban. Le deuxième est la
mise en place d'un important bras civil qui s'attache à répondre aux besoins de
la communauté chiite du Liban. Le troisième est la politisation, c'est-à-dire
la création d'une branche politique au sein du système parlementaire libanais.
La libanisation n'a cependant pas fait
oublier au Hezbollah sa double mission, ancrée dans sa vision politique et
religieuse islamiste : l'instauration d'un régime islamiste sur le modèle de la
République islamique d'Iran, d'une part, et la poursuite de la lutte armée
contre Israël, d'autre part.
L'adhésion du Hezbollah à l'idéologie
islamiste, clairement hostile à l’establishment, local, signifie qu'il a pour
objectif de remplacer le régime en place
par un régime islamiste et de renforcer constamment ses stocks d'armes pour
soutenir la lutte armée contre Israël. Le Hezbollah a veillé à présenter le
retrait unilatéral des FDI du Sud-Liban comme une réussite militaire de la
"résistance islamique au Liban" et non comme le résultat de
considérations internes à la société israélienne. Après le retrait israélien,
le Hezbollah a dû mettre davantage l'accent sur la dimension libanaise de sa
lutte militaire, et son discours a changé en conséquence.
Jusqu'au retrait des FDI, le Hezbollah
affirmait que son existence militaire était dédiée à la libération du sol d'une
patrie occupée. Après le retrait, l'organisation a commencé à promouvoir une
doctrine de la défense de la patrie contre "l'agression israélienne",
sa puissance militaire visant à créer un équilibre de la terreur entre elle et
Israël.
En conséquence, le Hezbollah s'est engagé
dans un discours politico-national libanais qui plaçait ostensiblement son
existence militaire au cœur du consensus national libanais. Ce discours se
résumait en trois mots : peuple, armée et résistance. Ce concept reflétait
l'approfondissement de la tendance à la libanisation et une réelle tentative de
la part du Hezbollah de se faire aimer des Libanais sous prétexte que ses armes
étaient destinées uniquement à la défense de la patrie libanaise.
Depuis mai 2000, la doctrine de la défense de
la patrie libanaise est le discours commun du Hezbollah et de ses partisans au
Liban. L'adoption de cette doctrine a coïncidé avec une réorganisation
politique et une intégration plus poussée dans la sphère politique et publique
libanaise. Cela s'est traduit par des alliances politiques avec des partis et
des mouvements politiques libanais, notamment parmi les chrétiens maronites, et
par la publication d'un deuxième document politique en 2009 qui, pour la
première fois, déclarait que le Hezbollah renonçait à sa mission d'instaurer un
régime islamiste au Liban.
En tant qu'organisation militaire et
mouvement politique, le Hezbollah représente un mouvement idéologico-religieux
totalitaire dont la vision du monde est le fondement de son existence. Quoi
qu'il ait pu dire au cours du processus de libanisation, il est toujours aussi
attaché à ses deux grands objectifs initiaux : l'instauration d'un régime
islamiste au Liban et la poursuite d'une lutte sans fin contre Israël.
Abandonner ces objectifs signifierait effacer son idéologie, ce qui reviendrait
à détruire son essence existentielle en tant que mouvement totalitaire.
En affirmant avoir renoncé à l'instauration d’un
régime islamiste au Liban et en redéfinissant son formidable arsenal comme défensif,
le Hezbollah mène une campagne pragmatique sophistiquée. Son objectif est avant
tout de neutraliser les opposants internes qui craignent l’implantation d’une
théocratie et la justification du maintien d'un vaste stock d'armes qui échappe
à l'autorité de l'État.
La stratégie d'équilibre qui caractérise le
Hezbollah depuis la fin de la deuxième guerre civile traduit la fidélité du mouvement à ses objectifs. L'équilibre
entre le maintien de l'existence de l'État libanais et la possession d'une énorme
quantité d'armes est une formule pratique qui provoque une crise chronique tout
en préservant l’option de la lutte contre Israël. De même, l’absence d'un
régime islamiste au Liban ne signifie nullement que le Hezbollah ait renoncé à
son idéologie islamiste, car ce serait en contradiction avec son âme même.
Le Hezbollah s'est engagé dans la guerre
Israël-Hamas au lendemain du Shabbat noir du 7 octobre. Sa participation, même
localisée, si peu de temps après l'attaque barbare de l'organisation terroriste
criminelle Hamas, menée principalement contre des civils israéliens sans aucune provocation de la part d'Israël,
remet en question la doctrine de défense de la patrie du Hezbollah. Sa participation
limitée aux combats actuels contre Israël prouve que le Hezbollah reste fidèle
à sa vision du monde et à l'endoctrinement qui l'accompagne depuis quatre
décennies. Son soutien au Hamas dans sa guerre contre Israël montre qu’amender un
document fondateur ou utiliser un discours politico-pragmatique selon les
circonstances n'est pas le reflet d'une modération ou d'un changement
fondamental.
En effet, la participation du Hezbollah aux
combats prouve son adhésion à son idéologie première de lutte éternelle contre
Israël. Le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré dans
son premier discours après le 7 octobre que si le moment n'est pas d’une
confrontation totale n’est pas encore venu, il est convaincu que ce jour
viendra. Il est fort douteux que l'énorme arsenal d'armes que le Hezbollah a
accumulé au cours des deux dernières décennies soit uniquement destiné à des
fins défensives. S'il a adapté son discours aux besoins du temps et des
circonstances, il ne faut pas croire qu'il a perdu de vue son totalitarisme
idéologique.
Le Hezbollah reste convaincu qu'il est
capable de porter un coup fatal à Israël. Après le retrait américain
d'Afghanistan et les scènes de citoyens afghans écrasés sous les roues des
avions, Nasrallah a assuré à ses partisans que de telles scènes se
reproduiraient à l'aéroport Ben-Gourion de Tel-Aviv. Le Hezbollah se prépare,
comme il l'a toujours fait, à une bataille apocalyptique contre Israël. Son
implication dans les combats actuels, aussi limitée soit-elle, prouve qu'il
reste déterminé à remplir sa mission messianique, d'infliger une défaite
décisive à Israël.
Le processus de libanisation a créé un écran
de fumée trompeur car la modération fait totalement défaut au Hezbollah. Au
lieu de se fier aux fausses interprétations de la « libanisation »,
Israël devrait se concentrer sur l'obsession du Hezbollah pour la puissance
militaire et sa détermination inébranlable de détruire l'État juif.
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Références :
The
“Lebanonization” of Hezbollah Has Not Altered Its Commitment to Israel’s
Destruction, traduction Le
Blon-note
par Yusri Khazran, BESA Center, le 10 décembre 2023
Yusri Khazran est maître de conférences au
département d'études moyen-orientales et islamiques du Shalem College et
chercheur à l'Institut Harry S. Truman pour la promotion de la paix de
l'Université hébraïque. Il a obtenu son doctorat à l'université hébraïque, puis
il a bénéficié d'une bourse Fulbright à l'université de Harvard. M. Hazran est
l'auteur de The Druze Community and the
Lebanese State : Between Resistance and Reconciliation (Routledge, 2014).