Pour Maayane Soumagnac, professeur en astrophysique à l'Université de Bar-Ilan en Israël, la trêve des combats n’améliorera en rien la situation à Gaza. En l'absence d'alternatives crédibles, seul Israël peut démilitariser le Hamas, explique-t-elle.
Maayane Soumagnac |
Ceux qui appellent actuellement à un cessez-le-feu
semblent ignorer les raisons pour lesquelles Israël est en guerre. Tout comme
ceux qui invoquent la «punition» ou la «vengeance», comme les deux seules
raisons possibles – des raisons vaines et infantilisantes. À tous ceux-là :
nous nous battons pour nos vies. Pour mettre hors d'état de nuire ceux qui ont
juré de nous massacrer et ont prouvé le sérieux de leurs intentions. Ni par
vengeance, ni par désir de punir, mais pour continuer à vivre. Pour ne pas
élever nos enfants à quelques kilomètres de ceux qui ont avoué devant les
caméras avoir tiré sur les portes des abris «jusqu'à ce que cessent les pleurs
des bébés». Pour ne pas élever nos filles à quelques kilomètres de ceux qui
ont violé des adolescentes avant de leur loger une balle dans la tête. S'ils se
soucient de la vie, ceux qui appellent à un cessez-le-feu avant que le dernier
des tunnels du Hamas ne soit détruit, et avant que le dernier des otages ne
soit revenu, doivent se poser très sérieusement la question de l'alternative
qu'ils proposent. Le Hamas n'est pas encore vaincu : exiger la fin immédiate
des combats équivaut à se résoudre à un après-conflit avec lui.
À lire la presse depuis le 7 octobre, je sais tout ce qu'Israël ne doit pas
faire. Mais je cherche toujours, entre les lignes, ce qu'Israël est censé faire
à la place. Maayane Soumagnac
Golda Meir, qui fut
premier ministre lors d'un autre épisode traumatique de l'histoire d'Israël, a
dit un jour : «Dans nos guerres contre les Arabes, nous avons une arme
secrète : le manque d'alternative». En effet, les options manquent face à
la détermination et à la cruauté dont le Hamas a fait preuve le 7 octobre : il
semble que l'alternative au combat serait d'accepter de mourir. C'est sans
doute la raison pour laquelle les propositions constructives sont plus rares
que les condamnations. À lire la presse depuis le 7 octobre, je sais tout ce
qu'Israël ne doit pas faire. Mais je cherche toujours, entre les lignes, ce
qu'Israël est censé faire à la place. Au micro de la BBC, le président Emmanuel Macron a rappelé le droit d'Israël de
«réagir», tout en martelant que la réaction d'Israël n'est pas la solution.
Pour connaître la solution en question, celle qui rendrait compatibles l'arrêt
total et immédiat des combats avec le désir – «partagé par la France» –
de «combattre le terrorisme», il faudra attendre. Attendre une prochaine
interview. Attendre une coalition internationale qui ne viendra jamais.
Certains, comme
Dominique de Villepin ont fait quelques propositions concrètes : l'arrêt des
combats exigé d'Israël serait une condition préalable à la mise en place d'une «administration
temporaire internationale sous l'égide de l'ONU», qui aurait pour mission
de «répondre aux besoins de la population civile», «démilitariser la
bande de Gaza» et «exfiltrer des membres du Hamas». Ces propositions
auraient le mérite d'exister, si leur manque flagrant de réalisme ne faisait
douter de leur bonne foi. Depuis 2005, la communauté internationale a été
incapable de s'assurer que les milliards qu'elle a investis dans Gaza servent
bien à son développement plutôt qu'à financer la construction de 300 à 500 km
de tunnels par le Hamas, l'équivalent de près d'un tiers de toutes les rues de
Paris. Pour «répondre aux besoins de la population civile», encore
eut-il fallu que les agences onusiennes basées à Gaza aient su exclure les
partisans du Hamas de leurs propres rangs et des équipes pédagogiques de leurs
propres écoles, qu'elles eussent empêché – ou dénoncé seulement – l'utilisation
par le Hamas des hôpitaux comme arsenaux et postes de commandement, des faits
connus depuis près de dix ans, d'après l'ancien chef de la mission militaire
française auprès de l'ONU.
« Démilitariser le Hamas » est précisément ce qu'Israël est en train de
faire : Emmanuel Macron, Dominique de Villepin et les autres savent
pertinemment qu'aucune coalition internationale ne le fera à sa place. Maayane Soumagnac
Quant à la
démilitarisation du Hamas, que dire ? Peut-on réellement imaginer la FINUL
(Force intérimaire des Nations unies au Liban, NDLR), traquant des
entrées de tunnels dans des chambres colorées d'enfants gazaouis comme Tsahal
est en train de la faire ? Est-il sérieux de penser que les dirigeants du
Hamas, sous les ordres de l'ONU, sortiront en file indienne de leurs abris
souterrains, s'exfiltrant volontairement, rendant au passage les armes ainsi
que 240 otages ? La FINUL n'a jamais «démilitarisé» personne. Déployée dans les
années 2000 au sud Liban, elle n'a empêché le Hezbollah ni de s'armer, ni
d'attaquer Israël, ni d'opérer comme un petit État, au grand malheur de la
population libanaise. «Démilitariser le Hamas» est précisément ce
qu'Israël est en train de faire : Emmanuel Macron, Dominique de Villepin et les
autres savent pertinemment qu'aucune coalition internationale ne le fera à sa
place.
Si les partisans de «la
paix» veulent émettre une voix sérieuse et audible, s'ils ne veulent pas
récompenser le Hamas d'avoir dépouillé Gaza pendant près de vingt ans et de
mener à présent une guerre sous un bouclier de civils pris au piège, ils ne
peuvent pas faire l'économie de solutions alternatives à la guerre qu'ils
critiquent, sans se rendre coupable d'un simplisme criminel. En l'absence
d'alternatives crédibles, il ne nous reste plus, à nous Israéliens, que les
promesses – bien crédibles elles – des dirigeants du Hamas. Comme celle faite par Ghazi
Hamad sur la chaîne libanaise LBC, de reproduire les massacres du 7 octobre «encore
et encore, jusqu'à l'annihilation d'Israël». Pour accompagner ces sombres
promesses, nous avons certes la compassion d'une partie de l'occident.
L'assurance, réitérée au micro de la BBC par Emmanuel Macron, qu'il «partage
notre douleur». Mais comme a dit un jour cette même Golda Meir : « à choisir
entre être morts et plaints, ou vivants et critiqués», le choix est vite
fait.
Référence :
«Pourquoi
un cessez-le-feu à Gaza serait irresponsable»
Par
Maayane Soumagnac, Le Figaro, 23 novembre 2023
Franco-israélienne
résidant actuellement à Jérusalem, Maayane
Soumagnac, normalienne, est professeur adjoint à Bar Ilan University (Israël)
et affiliée au LBNL (Berkeley). Elle a obtenu son doctorat à l'UCL
(Royaume-Uni) et a été postdoc à l'Institut Weizmann.