Il est crucial qu'Israël communique clairement et bruyamment à Sullivan les inconvénients de la normalisation proposée et du pacte de défense et qu'il ne se précipite pas pour le signer.
Jacob Nagel |
M. Sullivan arrive en tant
qu'envoyé du président Biden, motivé non par les intérêts israéliens mais par
les intérêts américains à l'approche des élections de novembre. Une grande
partie des actions récentes du gouvernement vise à empêcher Israël de parvenir
à une fin victorieuse à Gaza et de garantir le retour de tous les otages, tout
en faisant miroiter la "carotte" de la normalisation avec l'Arabie
saoudite et d’un "pacte de défense" américano-israélien. Cette
approche n'est pas conforme à la perception de la stratégie de sécurité
nationale d'Israël, en particulier lorsque certains accords sont conclus au
prix de la renonciation à la prévention de l'avancée nucléaire de l'Iran.
Un principe fondamental de
la stratégie de sécurité
nationale d'Israël est l'autosuffisance en matière de défense sans aide
extérieure, y compris celle des États-Unis.
Si la perspective d'une
normalisation avec l'Arabie saoudite est de la plus haute importance et
justifie que l'on prenne des risques pour saisir l'occasion, elle ne doit pas
se faire à n'importe quel prix. Les discussions que Sullivan mène en vue d'un
accord potentiel, après ses navettes diplomatiques et celles du secrétaire
d'État Blinken en Arabie saoudite, soulèvent des préoccupations importantes
quant aux fondements de la stratégie de sécurité nationale d'Israël et au prix
que les Américains demandent à Israël de payer.
C'était ma position avant
la guerre, et elle a été renforcée par le désir américain de lier la
normalisation [avec les Saoudiens] et le pacte de défense problématique, à la
"soumission" d’Israël sur Gaza.
En outre, la question
palestinienne, qui était auparavant secondaire pour les Saoudiens, est désormais
centrale dans le cadre de la présente normalisation, en partie en raison des fortes pressions exercées par les Américains.
Des concessions sur cette question cruciale, y compris l’idée d’intégrer
l'Autorité palestinienne dans une solution pour "le jour d’après" à
Gaza, ne feraient qu'aggraver le fourvoiement.
Il y a au moins une
amélioration (du point de vue israélien) découlant des demandes saoudiennes sur
certaines questions nucléaires, en particulier leur demande d'enrichissement
indépendant de l'uranium sur le sol saoudien. La demande découlait initialement
du terrible accord [de 2125] qui permettait aux Iraniens de procéder à un
enrichissement indépendant et de développer des centrifugeuses avancées.
Si la position des
Saoudiens est compréhensible, elle ne doit pas être acceptée. La question a été
temporairement résolue, car les Saoudiens auraient accepté d'enrichir d'abord
leur uranium sur le sol américain, principalement parce que la question
palestinienne a été élevée au rang de priorité et parce qu'il est entendu que
le Congrès ne soutiendrait pas un accord américano-saoudien ignorant les
contraintes d'Israël.
Pendant ce temps, les défis
iraniens restent inchangés. Son comportement agressif et son désir d'acquérir
des capacités nucléaires restent le principal problème d'Israël. L'accent doit
désormais être mis sur le ralentissement et l'arrêt du développement du système
d'armement et sur l'affaiblissement du régime, et il ne faut pas relâcher la
vigilance.
Les États-Unis avancent
vers un accord avec l'Iran tandis que le directeur général de l'AIEA leur sert en
réalité de « représentant » face aux Iraniens. Grossi reste un « diplomate »
et son objectif final est d’être élu secrétaire général de l’ONU, et il
comprend clairement qui « beurre les tartines ». Ses actes et ses
déclarations doivent être considérés avec méfiance, car en coulisses, il aide
probablement les États-Unis à conclure un accord avec l’Iran.
Les exigences de M. Sullivan sont un exemple de deux
poids, deux mesures
Lors de sa visite en
Israël, Sullivan demandera de stopper les opérations à Rafah et dans le
corridor de Philadelphie, en soulignant les dangers potentiels pour les civils
entassés dans la zone. C’est un exemple du deux poids, deux mesures. Le Hamas
est à l'origine du massacre, de l'enlèvement et du viol du 7 octobre et il utilise
les civils de Gaza comme boucliers humains, ce qui est explicitement contraire
à la législation américaine. Pourtant, la pression américaine ne s'exerce que
sur Israël.
Cette pression comprend des
menaces absurdes d'interrompre les livraisons d'armes à son seul allié au
Moyen-Orient, actuellement, au milieu d'une guerre sur plusieurs fronts qui tracera
l'avenir d'Israël dans la région. Bien que, jusqu'à présent, il ne s'agisse que
de menaces et peut-être d'un seul retard de livraison, la rhétorique est très
problématique.
La remise en avant de
l'idée erronée d'un pacte de défense américano-israélien, en particulier en conjonction
avec la "carotte" de la normalisation, pourrait envoyer un message
trompeur aux ennemis proches et lointains d'Israël, à savoir qu'Israël ne croit
pas en sa capacité à se défendre de manière indépendante. Même si le traité est
limité à une utilisation contre des menaces existentielles, le simple fait d'en
discuter cause des dommages importants.
Le pacte de défense
n'empêchera pas l'Iran de poursuivre son comportement agressif, et il pourrait
devenir une arme à double tranchant, avec un impact potentiellement grave sur
la dissuasion et la liberté d'action d'Israël.
Les États-Unis sont en
train de conclure l'accord de normalisation avec l'Arabie Saoudite et la
signature du pacte de défense avec les Israël, comportant l'arrêt des combats à
Gaza, des concessions palestiniennes et des concessions nucléaires à l'Arabie
Saoudite. Il est important de souligner que les États-Unis ont besoin qu'Israël
fasse passer leur accord autonome avec l'Arabie saoudite au Congrès (il est
illogique que l'Arabie saoudite se contente d'une décision présidentielle, mais
cela pourrait être la voie choisie à terme).
La normalisation et la
signature d'un pacte de défense pourraient saper le soutien apporté par les
États-Unis à Israël pendant des années, sous prétexte que le pacte les rend
redondantes ou qu'elles peuvent être minimisées ou affaiblies. Il s'agit
notamment d'un protocole d'accord complet et élargi sur l'avantage militaire
qualitatif (QME), d'un repositionnement anticipé des systèmes d'armement et des
munitions américains dans un large périmètre, d'une coopération élargie en
matière de recherche, de développement et de technologie, etc.
La normalisation
actuellement proposée est plus faible qu'elle ne l'était avant la guerre, et
les concessions exigées d'Israël (à l'exception peut-être d'une importante
question nucléaire saoudienne) sont beaucoup plus importantes. Il est essentiel
qu'Israël communique clairement et bruyamment à Sullivan les inconvénients de
la normalisation et du pacte de défense proposés, et qu'il ne se précipite pas
pour les signer, surtout pas lorsqu'ils sont liés à des concessions dans la
guerre de Gaza et sur la question palestinienne.
À l'avenir, un accord
trilatéral impliquant les États-Unis, l'Arabie saoudite et Israël pourrait être
conclu, en prenant des risques calculés qui pourraient ouvrir la voie à une
action commune contre le programme nucléaire iranien. Mais seulement après une
fin réussie et complète de la guerre à Gaza, le retour de tous les otages et le
retour en toute sécurité des résidents israéliens dans le nord du pays.
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Références :
America's
dangerous game with Israeli security , traduction Le Bloc-note
Par Jacob Nagel Foundation for Defense of Democracies le 15 Mai 2024
Jacob Nagel est chercheur
principal à la Foundation for Defense of Democracies (FDD) et professeur au
Technion. Il a été conseiller en matière de sécurité nationale auprès du
Premier ministre Netanyahou et chef par intérim du Conseil de sécurité nationale.