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20 mai 2024

Le jeu dangereux de l'Amérique avec la sécurité d'Israël, par Jacob Nagel

Il est crucial qu'Israël communique clairement et bruyamment à Sullivan les inconvénients de la normalisation proposée et du pacte de défense et qu'il ne se précipite pas pour le signer.

Jacob Nagel

Alors que le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, se prépare à se rendre en Israël ce week-end, le principal sujet qu'il souhaite aborder est la prévention d'une nouvelle guerre à Gaza, en se concentrant sur Rafah et le corridor de Philadelphie, essentiellement la manière dont les États-Unis empêcheront Israël d'atteindre les objectifs de guerre définis par le cabinet, à la suite du massacre du 7 octobre.

M. Sullivan arrive en tant qu'envoyé du président Biden, motivé non par les intérêts israéliens mais par les intérêts américains à l'approche des élections de novembre. Une grande partie des actions récentes du gouvernement vise à empêcher Israël de parvenir à une fin victorieuse à Gaza et de garantir le retour de tous les otages, tout en faisant miroiter la "carotte" de la normalisation avec l'Arabie saoudite et d’un "pacte de défense" américano-israélien. Cette approche n'est pas conforme à la perception de la stratégie de sécurité nationale d'Israël, en particulier lorsque certains accords sont conclus au prix de la renonciation à la prévention de l'avancée nucléaire de l'Iran.

Un principe fondamental de la stratégie de sécurité nationale d'Israël est l'autosuffisance en matière de défense sans aide extérieure, y compris celle des États-Unis.

Si la perspective d'une normalisation avec l'Arabie saoudite est de la plus haute importance et justifie que l'on prenne des risques pour saisir l'occasion, elle ne doit pas se faire à n'importe quel prix. Les discussions que Sullivan mène en vue d'un accord potentiel, après ses navettes diplomatiques et celles du secrétaire d'État Blinken en Arabie saoudite, soulèvent des préoccupations importantes quant aux fondements de la stratégie de sécurité nationale d'Israël et au prix que les Américains demandent à Israël de payer.

C'était ma position avant la guerre, et elle a été renforcée par le désir américain de lier la normalisation [avec les Saoudiens] et le pacte de défense problématique, à la "soumission" d’Israël sur Gaza.

En outre, la question palestinienne, qui était auparavant secondaire pour les Saoudiens, est désormais centrale dans le cadre de la présente normalisation, en partie en raison des fortes pressions exercées par les Américains. Des concessions sur cette question cruciale, y compris l’idée d’intégrer l'Autorité palestinienne dans une solution pour "le jour d’après" à Gaza, ne feraient qu'aggraver le fourvoiement.

Il y a au moins une amélioration (du point de vue israélien) découlant des demandes saoudiennes sur certaines questions nucléaires, en particulier leur demande d'enrichissement indépendant de l'uranium sur le sol saoudien. La demande découlait initialement du terrible accord [de 2125] qui permettait aux Iraniens de procéder à un enrichissement indépendant et de développer des centrifugeuses avancées.

Si la position des Saoudiens est compréhensible, elle ne doit pas être acceptée. La question a été temporairement résolue, car les Saoudiens auraient accepté d'enrichir d'abord leur uranium sur le sol américain, principalement parce que la question palestinienne a été élevée au rang de priorité et parce qu'il est entendu que le Congrès ne soutiendrait pas un accord américano-saoudien ignorant les contraintes d'Israël.

Pendant ce temps, les défis iraniens restent inchangés. Son comportement agressif et son désir d'acquérir des capacités nucléaires restent le principal problème d'Israël. L'accent doit désormais être mis sur le ralentissement et l'arrêt du développement du système d'armement et sur l'affaiblissement du régime, et il ne faut pas relâcher la vigilance.

Les États-Unis avancent vers un accord avec l'Iran tandis que le directeur général de l'AIEA leur sert en réalité de « représentant » face aux Iraniens. Grossi reste un « diplomate » et son objectif final est d’être élu secrétaire général de l’ONU, et il comprend clairement qui « beurre les tartines ». Ses actes et ses déclarations doivent être considérés avec méfiance, car en coulisses, il aide probablement les États-Unis à conclure un accord avec l’Iran.

Les exigences de M. Sullivan sont un exemple de deux poids, deux mesures

Lors de sa visite en Israël, Sullivan demandera de stopper les opérations à Rafah et dans le corridor de Philadelphie, en soulignant  les dangers potentiels pour les civils entassés dans la zone. C’est un exemple du deux poids, deux mesures. Le Hamas est à l'origine du massacre, de l'enlèvement et du viol du 7 octobre et il utilise les civils de Gaza comme boucliers humains, ce qui est explicitement contraire à la législation américaine. Pourtant, la pression américaine ne s'exerce que sur Israël.

Cette pression comprend des menaces absurdes d'interrompre les livraisons d'armes à son seul allié au Moyen-Orient, actuellement, au milieu d'une guerre sur plusieurs fronts qui tracera l'avenir d'Israël dans la région. Bien que, jusqu'à présent, il ne s'agisse que de menaces et peut-être d'un seul retard de livraison, la rhétorique est très problématique.

La remise en avant de l'idée erronée d'un pacte de défense américano-israélien, en particulier en conjonction avec la "carotte" de la normalisation, pourrait envoyer un message trompeur aux ennemis proches et lointains d'Israël, à savoir qu'Israël ne croit pas en sa capacité à se défendre de manière indépendante. Même si le traité est limité à une utilisation contre des menaces existentielles, le simple fait d'en discuter cause des dommages importants.

Le pacte de défense n'empêchera pas l'Iran de poursuivre son comportement agressif, et il pourrait devenir une arme à double tranchant, avec un impact potentiellement grave sur la dissuasion et la liberté d'action d'Israël.

Les États-Unis sont en train de conclure l'accord de normalisation avec l'Arabie Saoudite et la signature du pacte de défense avec les Israël, comportant l'arrêt des combats à Gaza, des concessions palestiniennes et des concessions nucléaires à l'Arabie Saoudite. Il est important de souligner que les États-Unis ont besoin qu'Israël fasse passer leur accord autonome avec l'Arabie saoudite au Congrès (il est illogique que l'Arabie saoudite se contente d'une décision présidentielle, mais cela pourrait être la voie choisie à terme).

La normalisation et la signature d'un pacte de défense pourraient saper le soutien apporté par les États-Unis à Israël pendant des années, sous prétexte que le pacte les rend redondantes ou qu'elles peuvent être minimisées ou affaiblies. Il s'agit notamment d'un protocole d'accord complet et élargi sur l'avantage militaire qualitatif (QME), d'un repositionnement anticipé des systèmes d'armement et des munitions américains dans un large périmètre, d'une coopération élargie en matière de recherche, de développement et de technologie, etc.

La normalisation actuellement proposée est plus faible qu'elle ne l'était avant la guerre, et les concessions exigées d'Israël (à l'exception peut-être d'une importante question nucléaire saoudienne) sont beaucoup plus importantes. Il est essentiel qu'Israël communique clairement et bruyamment à Sullivan les inconvénients de la normalisation et du pacte de défense proposés, et qu'il ne se précipite pas pour les signer, surtout pas lorsqu'ils sont liés à des concessions dans la guerre de Gaza et sur la question palestinienne.

À l'avenir, un accord trilatéral impliquant les États-Unis, l'Arabie saoudite et Israël pourrait être conclu, en prenant des risques calculés qui pourraient ouvrir la voie à une action commune contre le programme nucléaire iranien. Mais seulement après une fin réussie et complète de la guerre à Gaza, le retour de tous les otages et le retour en toute sécurité des résidents israéliens dans le nord du pays.

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Références :

America's dangerous game with Israeli security , traduction Le Bloc-note

Par Jacob Nagel Foundation for Defense of Democracies  le 15 Mai 2024

Jacob Nagel est chercheur principal à la Foundation for Defense of Democracies (FDD) et professeur au Technion. Il a été conseiller en matière de sécurité nationale auprès du Premier ministre Netanyahou et chef par intérim du Conseil de sécurité nationale.