Le virage contre l'État juif s'est étendu de "l’Escouade" (*) à Joe Biden, avec des exceptions comme le sénateur de Pennsylvanie John Fetterman qui se tient à contre-courant de la vague pro-Hamas.
Jonathan S. Tobin
Depuis que les quatre premiers membres de
l'"Escouade" de gauche du Congrès ont fait leurs débuts au Capitole
en janvier 2019, les Démocrates centristes ont cherché à rassurer les électeurs
pro-israéliens en affirmant que le quatuor de radicaux était un cas isolé dans
leur parti. À l'époque, c'était en grande partie vrai, car la plupart des
politiciens démocrates et leurs dirigeants au Congrès étaient généralement
pro-israéliens.
Mais l’isolement de la Rep. Ilhan Omar (D-Minn.)
et de ses copains-Reps. Alexandria Ocasio-Cortez (D-N.Y.), Rashida Tlaib
(D-Mich.) et Ayanna Pressley (D-Mass.) au sein de leur propre groupe
parlementaire pour leur attitude à l'égard d'Israël est révolu. Six mois après
les massacres perpétrés par le Hamas dans le sud d'Israël le 7 octobre, leur
hostilité intense à l'égard de l'État juif s'est propagée bien au-delà des
membres initiaux pour devenir l'opinion dominante au sein du Parti démocrate.
Un grand nombre de membres démocrates de la Chambre des représentants et du
Sénat se sont prononcés en faveur de l'interdiction de l'aide militaire à
l'État juif et ont approuvé les arguments de la propagande du Hamas invoquant un
"génocide" commis par Israël dans la bande de Gaza.
Plus encore, l'administration Biden a finalement
cédé à la pression intense venant de la base de son parti. Après des mois de
lobbying et de pétitions émanant de fonctionnaires fédéraux de rang inférieur,
de membres du personnel du Congrès, d'élus arabo-américains du Michigan et même
de l'équipe de campagne du président Joe Biden, l'administration a finalement
réussi, le mois dernier, à dévier de sa position initiale de soutien ferme à
Israël et d'éradication du Hamas.
Le déplacement de la "fenêtre d'Overton
Cela signifie que cinq ans seulement après
l'entrée de "l'Escouade" dans le lexique politique américain, non
seulement les positions de ses membres sont à présent dominantes parmi les Démocrates,
mais ce sont les centristes fidèles à leur soutien à Israël qui sont
aujourd'hui les marginaux du parti. Parmi les Démocrates, ainsi que dans les
médias grand public et la culture populaire contrôlée par la gauche, ce que
l'on appelle la "fenêtre d'Overton" (**) - un terme qui décrit
ce qui est ou n'est pas un discours acceptable dans la société bien léchée - a
évolué de manière décisive vers l'"Escouade" lorsqu'il s'agit
d'Israël.
Le sénateur John Fetterman (D-Pa.) figure en
bonne place parmi les nouveaux Démocrates marginaux. A cause de son
franc-parler en faveur d'Israël et de son soutien à la guerre contre le Hamas.
Il a harcelé les gauchistes pro-Hamas qui l'ont attaqué au Capitole et ailleurs
en leur brandissant sous le nez à plusieurs reprises un drapeau israélien. Cela
lui a valu non seulement l'opprobre de la gauche, mais aussi le départ de
plusieurs membres éminents de son équipe.
M. Fetterman n'est pas tout à fait le seul
démocrate à s'en tenir à ce qui aurait été autrefois considéré comme
l'expression du consensus bipartisan devenu désormais à une position des Républicains.
D'autres comme le sénateur Jackie Heller (D-Nev.) et le député Richie Torres
(D-N.Y.) font également partie des démocrates qui ne se sont pas pliés aux
diktats de la base intersectionnelle de leur parti. Il est également vrai que
certains membres de la "Brigade" élargie, Omar, Summer Lee (D-Pa.) et
Jamaal Bowman (D-N.Y.), sont confrontés à des défis primaires difficiles de la
part d'adversaires plus centristes qui bénéficient d'un soutien important de la
part de la communauté pro-israélienne.
Qu'ils survivent ou non à ces épreuves, il est
clair que le parti démocrate est à la croisée des chemins en ce qui concerne
l'État juif.
Jusqu'à ce qu'il se remette de l'attaque
cérébrale massive dont il a été victime alors qu'il faisait campagne pour le
Sénat en 2022, M. Fetterman était considéré comme un gauchiste pur et dur et
c'est en grande partie sur cette base qu'il a remporté la primaire démocrate de
cette année-là. Ses prises de position récentes ne sont dignes d'intérêt que
parce qu'elles sont très différentes de celles du reste du groupe démocrate du
Sénat. Cela inclut le leader de la majorité Chuck Schumer (D-N.Y.) qui, malgré
sa prétention grotesque d'être le shomer ou
"gardien" d'Israël, a ouvertement soutenu la volte-face de Biden et
exigé un changement de régime à Jérusalem afin que l'État juif élise un
dirigeant plus docile qui obéirait aux diktats de Washington.
Biden soutient une victoire du Hamas
Les efforts de M. Biden pour forcer Israël à
accepter un cessez-le-feu immédiat avec le Hamas et les avertissements sévères
selon lesquels tout effort visant à achever la destruction des unités
militaires du groupe terroriste dans son dernier bastion de Rafah entraînerait l'interdiction
de l'aide militaire que les démocrates de gauche réclament depuis le début. Les
menaces de Washington d'autoriser l'adoption de résolutions de l'ONU faisant
d'Israël un État paria sont également sur la table. Pour l'essentiel, la
politique de l'administration consiste désormais à aider en priorité le camp
qui a déclenché la guerre le 7 octobre, et à empêcher Israël d'agir pour
éradiquer le groupe terroriste voué à le détruire. Cela signifie que si les
pressions exercées par M. Biden sur Israël aboutissent, le Hamas sortira
vainqueur d'une guerre que le groupe islamiste a commencée par le plus grand
massacre de Juifs depuis l'Holocauste.
Compte tenu de la véhémence des premières
réactions de M. Biden au 7 octobre et de son engagement en faveur de
l'élimination du groupe terroriste, il s'agit là d'un revirement remarquable.
Le pivot des Démocrates trouve son origine dans
les prises de bec de l'ancien président Barack Obama avec Israël et sa
complaisance à l'égard de l'Iran et de son programme nucléaire, que la plupart
des démocrates ont approuvé en dépit du danger qu'il représentait pour Israël
et pour l'Occident.
Le récent revirement peut en partie être imputé à
la couverture médiatique biaisée de la guerre, les médias de gauche ayant joué
le rôle de sténographes du Hamas, répétant leurs statistiques bidon sur les
victimes, ignorant le vol de l'aide par les terroristes et généralisant les
calomnies selon lesquelles Israël commettrait un "génocide" et serait
responsable de la famine à Gaza, en dépit des nombreuses preuves du contraire.
Mais il serait erroné de mettre tout cela sur le
dos d'Obama ou des reportages et commentaires déformés sur la guerre dans les
médias que les démocrates lisent et regardent. Le changement radical s'est opéré chez les Démocrates au fil des
décennies, à mesure que des idéologies gauchistes comme la théorie critique de
la race et l'intersectionnalité, qui qualifient à tort les Juifs et Israël
d'"oppresseurs blancs", sont devenues des opinions orthodoxes dans
les institutions de gauche, au lieu d'être confinées dans les marécages fiévreux
de l'extrême gauche.
Les démocrates n'ignorent ni ne condamnent les
foules qui scandent la destruction d'Israël et le terrorisme contre les Juifs
dans les rues des villes américaines et sur les campus universitaires, ni
celles qui harcèlent Biden pendant la campagne en l'accusant d'aider au
"génocide" israélien. M. Biden et la vice-présidente Kamala Harris
sont déterminés à se les concilier et à démontrer qu'ils comprennent et
respectent leurs positions.
Il est tout aussi important de noter que d'éminents
démocrates comme la sénatrice du Massachusetts Elizabeth Warren, endossent l’incitation
au meurtre en prétendant qu’Israël commet un génocide. Non seulement elle n'a
pas été confrontée à une avalanche de critiques de la part des militants, des
donateurs et des électeurs démocrates, mais son accusation est considérée comme
une déclaration banale et normative.
Personne ne devrait être surpris par tout cela.
Même en 2019, lorsque les centristes rejetaient
l'alarmisme suscité par les membres de l'"Escouade", leurs assurances
sonnaient creux. À l'époque, ces radicaux avaient suffisamment d'influence au
sein du caucus démocrate pour empêcher l'une de leur fondatrice, Omar, d'être
soumise à la censure de la Chambre des représentants pour son antisémitisme
ouvert et flagrant. Dès que ces gens ont posé le pied au Congrès, ils ont été
traités comme des rock stars par les médias de gauche, faisant la couverture du
magazine Rolling Stone avec Nancy Pelosi, alors présidente de la Chambre des
représentants. Ils étaient aussi fêtés dans les émissions comiques de fin de
soirée qui sont des contributions quotidiennes en nature pour les démocrates.
Les progressistes prennent le pouvoir
Ce processus s'est poursuivi l'année suivante
lorsque, après la mort de George Floyd à Minneapolis en mai 2020, les
démocrates ont soutenu en masse le mouvement Black Lives Matter, entaché d'antisémitisme. Dans la panique morale
de cet été-là, les démocrates se sont également entichés des idéologies
radicales toxiques qui ont contribué à motiver les émeutes
"essentiellement pacifiques" qui ont fait des ravages dans tout le
pays. À l'exception des critiques conservateurs, personne dans les médias n'a
semblé remarquer que l'extrême gauche s'était emparée non seulement de
l'université, mais aussi de Washington après la signature par Biden, en janvier
2021, de décrets faisant du catéchisme woke de la diversité, de l'équité et de
l'inclusion une politique gouvernementale officielle. Cela a également
contribué à déplacer la "fenêtre d'Overton"(*) à propos d'Israël.
Alors que par le passé, on n'aurait jamais rencontré de plaidoyer pour la
destruction d'Israël dans les pages éditoriales du New York Times, du
Washington Post ou sur MSNBC, c'est rapidement devenu une routine.
Vue sous cet angle, la révolte ouverte des
militants de gauche qui aident à remplir les bureaux et les institutions du
Parti démocrate contre les premières réactions de Joe Biden au 7 octobre était
tout à fait prévisible. Et bien que cela n’aurait pas dû se produire, étant
donné que Biden a été, tout au long de son demi-siècle en politique une
girouette pointant toujours dans la direction de l'opinion populaire de son
parti, il était probablement inévitable qu’il rejette rapidement ses impulsions
pro-israéliennes affichées il y a six mois.
Bien que la plupart des démocrates ne semblent
pas s'en rendre compte, dans un pays où la majorité des Américains soutiennent
encore Israël et s'opposent à ses adversaires terroristes, il y a encore plus
de votes pro-israéliens à perdre au centre politique en abandonnant l'État juif
qu'à l'extrême gauche en se montrant trop hostile au Hamas. Pourtant les
démocrates pensent couramment que la poursuite de la guerre jusqu'à
l'élimination du Hamas est un obstacle à la réélection de M. Biden. C'est la
raison pour laquelle même les membres démocrates du Congrès, considérés comme
de fervents défenseurs d'Israël, sont réticents à condamner les menaces de M.
Biden et à accepter une victoire du Hamas.
Certains animateurs de talk-shows conservateurs,
comme Candace Owens et Tucker Carlson, ont fait preuve d'un sentiment
anti-israélien troublant qui s'apparente à de l'antisémitisme. Toutefois, la
quasi-totalité des élus républicains se sont rangés derrière Israël et contre
la trahison de l'État juif par M. Biden. Le soutien à Israël des chrétiens
évangéliques et conservateurs, ancré dans leur foi, garantit également la
fidélité du GOP.
Qu'en sera-t-il des démocrates affranchis comme Fetterman ?
Les centristes démocrates sont suffisamment nombreux
pour exercer encore une certaine influence au sein de leur parti et ils sont
susceptibles de gagner lors des élections générales quand ils peuvent compter
sur des électeurs pro-israéliens plus nombreux que les antisémites dans les
districts et les États qui ne sont pas d'un bleu profond. Mais il serait
insensé de prétendre qu'ils représentent l'avenir du parti face à des stars
médiatiques comme AOC. Elles peuvent compter sur le soutien de militants
fidèles, mais aussi de la presse de gauche et des institutions culturelles. Il
est difficile d'imaginer un scénario dans lequel l'emprise de la gauche
politique sur les Démocrates s'affaiblirait. Qu’elle reste au pouvoir dans le
cas d'un second mandat de Biden ou qu’elle entre dans l'opposition si Trump
gagnait en novembre, car leur parti deviendrait probablement plus vulnérable encore
à l'extrémisme.
L'horreur du 7 octobre aurait dû entraîner
l'isolement de ceux qui détestent Israël, mais c'est le contraire qui s'est
produit chez les Démocrates. Cela signifie que des hommes politiques comme
Fetterman seront de plus en plus l'exception à la règle, ce qui rendra leur
courage politique d'autant plus louable et méritera d'être soutenu. Mais nous
nous retrouverons de plus en plus dans une situation où le soutien vital dont
Israël a besoin de la part de l'Amérique sera fonction des batailles partisanes
entre Démocrates et Républicains. Quel que soit le parti qui l'emportera en
2024, c'est une très bonne nouvelle pour les antisémites, qui ont longtemps
fantasmé sur l'effondrement de l'alliance États-Unis-Israël et qui peuvent
désormais voir leur rêve sur le point de se réaliser.
(*) Groupe d’élues Démocrates radicales composé
de Ilhan Omar , Alexandria Ocasio-Cortez (AOC.), Rashida Tlaib et Ayanna
Pressley
(*) Image utilisée pour désigner l'ensemble des idées, opinions ou pratiques
considérées comme plus ou moins acceptables dans l'opinion publique d'une
société, que l’on peut défendre sans être taxé d’extrémisme ou de
marginalité.
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Références :
Who can
stop the Democrats’ pivot away from Israel? , traduction Le Bloc-note
Par Jonathan S. Tobin, JNS, la 10 avril 2024
Jonathan S. Tobin est rédacteur en chef de JNS
(Jewish News Syndicate). Suivez-le : @jonathans_tobin.