L'Iran a passé des années à élaborer une doctrine de combat contre Israël dans laquelle ses mandataires encerclent et attaquent Israël sans qu'il soit ostensiblement impliqué dans ces opérations.
L'assassinat d'un officier supérieur du CGRI
à Damas montre clairement à l'Iran que cette stratégie ne lui donne pas
l'immunité et que s'il intensifie ses actions contre Israël, tout Iranien sera
une cible légitime.
Au fil des ans, l'Iran a élaboré une
stratégie "intelligente" pour sa guerre contre Israël. Cette
stratégie comporte deux volets principaux :
1. Une capacité nucléaire militaire servant
de parapluie pour garantir que les actions qui lui seraient hostiles ne seront
pas possibles. Téhéran sera donc en mesure de poursuivre et même d'étendre ses
activités agressives dans toute la région, principalement contre Israël, mais
aussi contre les États-Unis.
2. Un "cercle de feu" entourant
Israël avec le Hezbollah au Liban, le Hamas et le Jihad islamique à Gaza, et
les milices étrangères en Syrie. Le commandant assassiné de la Force Qods du
CGRI, Qassem Soleimani, rêvait également de construire une capacité iranienne
indépendante en Syrie, mais les opérations israéliennes menées depuis une
douzaine d'années ont rendu impossible la réalisation complète de ce rêve. La
ceinture de feu a également des composantes plus éloignées : les Houthis au
Yémen et les milices pro-iraniennes en Irak. Le principe directeur de la
ceinture de feu est clair : l'Iran reste distant et ostensiblement non
impliqué, car il n'a aucune responsabilité directe dans les actions de ces
éléments, et il n'y a aucun moyen de prouver qu'il est "la main qui fait
trembler le berceau". L'Iran est comme une pieuvre dont le centre et le
cerveau ne sont pas responsables des actions de ses longs bras - et il n'y a
donc aucune possibilité légitime d'agir contre lui avec une force manifeste.
Un
signal fort pour l'Iran
L'ensemble des forces que l'Iran a
constituées de toutes parts s'avère difficile à gérer pour Israël. Par
conséquent, l'élimination totale de la
puissance militaire du Hamas et du Djihad islamique à Gaza est de la plus haute
importance pour faire comprendre à la pieuvre et à ses mandataires que le
franchissement des lignes rouges conduira Israël à des actions drastiques.
Comme les éléments de la "ceinture de feu" sont proches d'Israël, cela
lui permet d'utiliser toute sa force militaire contre eux. Mais même si Israël
réussit à minimiser la capacité de l'Iran à faire opérer ses mandataires à Gaza
(et pour ce faire, les FDI devront entrer dans Rafah et démanteler les quatre
bataillons du Hamas qui s'y trouvent), l'Iran restera en dehors du jeu. Il
n'aura pas payé de prix et restera distant et protégé. Le principe sera
préservé.
L'opération de Damas fait comprendre à l'Iran
qu'il ne sera pas toujours à l'abri et que s'il intensifie ses actions contre
Israël, tout Iranien qui s'approchera d'Israël sera une cible légitime.
L'attaque du bâtiment voisin de l'ambassade d'Iran à Damas, que les Iraniens
appellent "consulat" (je ne sais pas si c'est vrai ou si c'est un bluff
iranien de plus. Aucun diplomate n'était présent lors du bombardement), est un
signal fort envoyé à l'Iran pour lui signifier que ses actions continuelles
rapprochent Israël d'une attaque directe contre lui. L'opération menée contre
un haut responsable du CGRI [Gardiens de la Révolution] dans la zone la plus
proche de l'ambassade iranienne, une zone considérée comme un territoire
iranien à Damas, comme n'importe quelle ambassade dans le monde, est un signal
d'avertissement pour l'Iran qui va au-delà de l'importance des commandants de
haut rang qu'il a perdus.
La frappe a tué des commandants iraniens de
haut rang ayant une grande expérience des opérations. Cela n'entraînera pas
l'effondrement des Gardiens de la révolution, mais il leur sera plus difficile
d'opérer dans l'arène du pourtour d'Israël. Il sera intéressant de voir si
l'Iran sera en mesure de trouver des remplaçants adéquats pour les commandants
assassinés. Jusqu'à présent, l'Iran n'a pas de bons antécédents. à ce jour, Téhéran n'a pas trouvé de
remplaçant adéquat pour Qassem Soleimani, tout comme le Hezbollah n'a pas
trouvé de remplaçant pour Imad Mughniyeh.
Israël doit tenir compte du fait que les
Iraniens déploieront des efforts considérables pour trouver une cible
appropriée à leur vengeance. Selon moi, ils n'intensifieront pas les combats au
Liban, car ils n'ont apparemment aucun intérêt à entrer dans une guerre majeure
dans laquelle le Hezbollah subirait des dommages importants (certainement
lorsqu'il leur apparaîtra clairement que la composante Gaza de la
"ceinture de feu" est en train d'être démantelée). À mon avis, ils
chercheront une cible douloureuse et isolée qui ne conduira pas à une escalade
régionale, mais qui prélèvera un tribut cruel. L'attentat à la bombe contre
l'ambassade d'Israël en Argentine en 1992, après l'élimination du secrétaire
général du Hezbollah, Abbas Musawi (qui a précédé Hassan Nasrallah), est un
exemple approprié tiré de l'histoire.
L'opération à Damas doit être comprise dans
le contexte de la lutte directe qui se dessine entre Israël et l'Iran. En l'occurrence,
les dommages infligés constituent un élément essentiel de la stratégie
iranienne. Ils mettent l'Iran à distance, ils éprouvent sa capacité à se
soustraire à la responsabilité des actions de ses représentants dans la région
sous prétexte qu'il n'est pas directement impliqué. L'opération ne modifiera
pas sa stratégie de longue date, mais elle rendra difficile la poursuite de sa
mise en œuvre. L'Iran, pour sa part, fera tout ce qui est en son pouvoir pour
surmonter cette difficulté et poursuivre ses opérations agressives qui se sont
intensifiées pendant la guerre de Gaza.
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Références :
Iran’s ‘Ring of Fire’ traduction Le Bloc-note
Général de division
(res.) Yaakov Amidror, Jerusalem Institute for Strategy and Security,
le 8 avril 2024
Le général de
division (res) Yaakov Amidror a été conseiller à la sécurité nationale d'Israël
et a occupé des postes de haut niveau au sein des forces de défense
israéliennes. Il est membre éminent du Jewish Institute for National Security
of America's Gemunder Center et Rosshandler Fellow au Jerusalem Institute for
Strategy and Security. Il a publié trois ouvrages sur le renseignement et la
stratégie militaire.