La suspension temporaire du financement de l'UNRWA par le Canada, suite aux accusations de participation de certains de ses membres au massacre du 7 octobre dans le sud d'Israël, devrait devenir permanente.
Einat Wilf |
Il y a plus de soixante-dix ans, la création
d'une agence temporaire chargée d'accueillir les réfugiés de guerre n'avait
rien d'exceptionnel. Avec l'effondrement des empires - habsbourgeois, ottoman
ou britannique - et l'émergence de nouveaux États pour remplacer les anciennes
terres impériales, des dizaines de millions de personnes sont devenues des
réfugiés alors qu'elles fuyaient à travers des frontières nouvellement
délimitées. Que ce soit dans le sous-continent indien, en Europe, en Afrique ou
au Moyen-Orient, les guerres brutales d'indépendance post-impériale qui ont
entraîné des dizaines de millions de réfugiés n'ont rien d'exceptionnel. Ces
réfugiés ont tous été installés dans les lieux où ils avaient fui (généralement
de nouveaux pays avec une composition ethnique similaire à celle des réfugiés)
ou dans d’autres localisations. Cela s'est fait grâce à des efforts locaux et
indépendants ou par l'intermédiaire d'agences spécialisées.
L'agence générale créée pour s'occuper des
réfugiés, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, s'est
surtout concentrée sur l'Europe au cours de ses premières années de
fonctionnement. C'est pourquoi, dans d'autres conflits de la fin des années
1940 et du début des années 1950, comme celui de Corée ou du Moyen-Orient, des
agences spécialisées temporaires ont été créées dans le but d'installer les
réfugiés en quelques années seulement. Contrairement au HCR, ces agences
étaient temporaires parce qu'elles étaient conçues pour remplir un objectif
spécifique et fermaient leurs portes une fois celui-ci atteint. Ce fut le cas
en Corée. L'UNKRA a accueilli 3,1 millions de réfugiés de la guerre, soit au
moins trois fois le nombre de réfugiés arabes de la guerre israélo-arabe de
1947-1949, avec un tiers du budget alloué à l'UNRWA. Elle a terminé son travail
en quelques années et a fermé ses portes, comme prévu. Regardez la Corée du Sud
aujourd'hui. Cela aurait pu être le cas des Arabes.
Mais les réfugiés arabes eux-mêmes,
aujourd'hui connus sous le nom de Palestiniens, ont refusé toute forme de
colonisation sur place parce qu'ils savaient que cela signifierait que la
guerre est terminée et que l'État juif serait ainsi légitimé comme un fait
accompli. Étant donné que l'objectif explicite des Arabes dans la guerre de
1947-1949 était de s'assurer qu'aucun État juif, quelle que soit sa taille,
n'émerge entre le Jourdain et la mer Méditerranée, les réfugiés arabes étaient
déterminés, même lorsqu'un cessez-le-feu avec les États arabes a mis fin à la
guerre, à continuer à se battre pour s'assurer que l'État juif soit réduit à
néant. Se maintenir en tant que réfugiés perpétuels, en rejetant toute forme
d'installation personnelle permanente qui permettrait à Israël d'exister, est
devenu l'une des principales armes de cette guerre arabe totale contre l'État
juif.
L'UNRWA a été créée avec les meilleures
intentions du monde pour aider à installer les réfugiés arabes de la guerre (le
nombre bien plus important de réfugiés juifs, y compris ceux de la guerre et
ceux qui ont fait l'objet d'un nettoyage ethnique dans le monde arabe en
représailles à la naissance d'Israël, ainsi que les réfugiés juifs survivants
de l'Holocauste, ont tous été absorbés par Israël sans aucun soutien
international). Mais les réfugiés arabes et les pays arabes se sont opposés à
la réinstallation par l'UNRWA. L'Office n'a donc pas réussi à installer ne
serait-ce qu'un seul réfugié arabe. Les bailleurs de fonds de l'UNRWA à
l'époque, les États-Unis et le Royaume-Uni, voulaient fermer l'agence en
faillite. Il ne faisait aucun doute que l'UNRWA ne parvenait pas à installer
les réfugiés.
Mais les pays arabes ne voulaient pas
entendre parler de la fermeture de l'UNRWA. Ils avaient déjà obtenu le sigle "UN" dans son nom afin de faire passer le message que l'existence d'Israël était
essentiellement de la faute de l'ONU. Ils obtinrent également du HCR une exception
légale pour l'UNRWA, sachant que si les réfugiés arabes étaient traités comme
tous les autres réfugiés dans le monde, il ne resterait plus aucun réfugié en
quelques années. L'étape suivante consista alors à s'assurer que l'UNRWA reste
ouverte et financée par l'Occident. Compte tenu de l'importance du pétrole et
de la position arabe dans la guerre froide, les pays arabes menacèrent avec
succès les États-Unis et le Royaume-Uni pour que l'UNRWA reste ouverte L'UNRWA
est toujours ouverte en tant qu'agence temporaire, financée par de nombreux
pays occidentaux à hauteur de plus d'un milliard de dollars par an.
Lorsqu'il est devenu évident que l'UNRWA
n'accueillerait pas un seul réfugié arabe et qu'elle ne fermerait pas ses
portes, il fallut lui trouver de quoi s’occuper, d'autant plus que l'aide
immédiate n'était plus nécessaire. Ce qui avait commencé par des initiatives de
formation professionnelle s'est transformé en quelques années en un système
d'éducation tentaculaire géré par les réfugiés arabes eux-mêmes. Dans les
complexes de l'UNRWA (appelés à tort "camps de réfugiés") et dans les
écoles, un nouveau nationalisme est né, le nationalisme palestinien, qui a
réuni les Arabes vivant en Jordanie, en Syrie, au Liban et dans la bande de
Gaza autour d’objectifs de vengeance et de "retour". L'idée que les
Palestiniens étaient des "réfugiés" génération après génération, qu’ils
possédaient un "droit au retour" supérieur à la souveraineté
israélienne, de s'installer sur le territoire souverain d'Israël, est devenue
le marqueur le plus profondément ancré de l'identité palestinienne et de son
ethos national.
Mais les Palestiniens ne sont pas des
réfugiés au sens où l'entend la communauté internationale. L'UNRWA enregistre
5,9 millions de réfugiés dans ses cinq zones d'opération : Gaza, Cisjordanie,
Jordanie, Syrie et Liban. Quarante pour cent d'entre eux vivent en Cisjordanie
et à Gaza. Selon leurs dires, ils vivent en Palestine. Ils y sont nés et y ont
vécu. C'est là qu'ils doivent construire leur avenir. Ce ne sont pas des
réfugiés et n'ont pas besoin d'être réinstallés.
Quarante autres pour cent sont des citoyens
jordaniens. La Jordanie a naturalisé les réfugiés arabes après la guerre.
Aujourd'hui, la grande majorité des personnes enregistrées comme réfugiés en
Jordanie sont nées en Jordanie. Nulle part ailleurs dans le monde, un citoyen
d'un pays, né dans ce pays, est en quelque sorte un réfugié d'un autre pays
souverain.
Les 20 % restants sont enregistrés en Syrie
et au Liban. Ces deux pays ont refusé la citoyenneté à ces résidents nés dans
un pays arabe. Le Liban dispose également d'un ensemble de lois empêchant ces
Arabes de participer à l'économie et à la société libanaises (un véritable
système d'apartheid). Pourtant, des données récentes montrent que la plupart
des personnes enregistrées en Syrie et au Liban ont quitté ces pays depuis
longtemps. Nombre d'entre eux ont obtenu la nationalité d'autres pays, et
pourtant l'UNRWA continue de les enregistrer en tant que "réfugiés".
Dans la pratique, le problème des
"réfugiés" palestiniens est assez limité. Seules deux à trois cent
mille personnes vivant au Liban et en Syrie sont soit les véritables réfugiés
d'origine (ceux qui ont échappé à la guerre de 1947-1949), soit leurs
descendants privés de statut qui ont besoin de s'installer sur place ou d'être
réinstallés dans des pays tiers. Il s'agit de petits nombres que l'agence des
Nations unies pour les réfugiés est tout à fait capable de gérer. Mais la
question n'a jamais été pratique, elle a toujours été symbolique, l'objectif
étant de maintenir la question des "réfugiés" palestiniens comme le signe
vivant que l'existence d'Israël en tant qu'État juif est temporaire.
Non seulement les personnes enregistrées
comme "réfugiés palestiniens" ne sont pas des réfugiés au sens des
normes internationales, mais elles ne possèdent pas non plus de "droit au
retour", c'est-à-dire un droit supérieur à la souveraineté israélienne
pour s'installer sur le territoire souverain d'Israël. Un tel droit pour un
peuple qui n'a jamais été citoyen d'un pays, qui supplante le droit des pays
souverains de contrôler leurs frontières et de décider qui devient leur
citoyen, n'existe tout simplement pas. Même les diverses résolutions de
l'Assemblée générale des Nations unies citées par les Palestiniens ne
soutiennent pas un tel droit. Mais les Palestiniens croient qu'ils ont un tel
"droit" et se sont forgés une nation basée sur l'engagement singulier
du "retour" et de la vengeance.
Il n'est donc pas surprenant que l'UNRWA ait
donné naissance à des générations de meurtriers entraînés, fiers de massacrer
des Juifs, qu'il s'agisse des athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de
Munich en 1972 ou des kibboutzniks partisans de la paix le 7 octobre. Même si
les employés de l'UNRWA n'étaient pas directement impliqués dans le meurtre de
Juifs, et nous savons que plusieurs d'entre eux l'ont été, étant donné que
toute leur idéologie consiste à détruire l'État juif, leur existence continue
garantit pratiquement que des organisations, du genre de Septembre noir ou du
Hamas, se émergeront toujours pour atteindre cet objectif.
Cela fait maintenant 14 ans que je fais des
recherches sur l'UNRWA, que j'écris et m'exprime à son sujet et que je plaide
pour son démantèlement. La seule raison pour laquelle j'ai consacré mon temps
et mes capacités à le faire est que, contrairement à l'impression dominante,
l'UNRWA et la question des "réfugiés" palestiniens ne sont pas des
aspects marginaux du conflit. Ils sont
au cœur du conflit et la raison de sa perpétuation. Le conflit a toujours
porté sur une chose et une seule, le rejet par les Arabes du droit des Juifs à
l'autodétermination dans n'importe quelle partie de leur patrie historique.
Tout le reste est le résultat de ce seul refus. L'UNRWA a été l'une des forces
les plus importantes pour garantir que ce rejet non seulement ne s'arrête jamais,
mais qu'il soit encouragé, soutenu et amplifié pour devenir l'élément central
d'un peuple entier.
J'ai toujours soutenu l'idée que les Juifs et
les Arabes de la terre seraient mieux à même de se gouverner eux-mêmes dans des
États qui leur seraient propres - c'est ce que l'on appelle la solution à deux
États. Je continue à soutenir cette idée, mais je me considère désormais comme
une militante de la paix à long terme. C'est précisément parce que je reste
attachée à la paix que je comprends qu'il ne peut y avoir de paix tant que la
raison fondamentale de la guerre menée pendant un siècle par les Arabes contre
un État juif subsistera. Pour qu'il y ait la paix, il faut d'abord que la
guerre prenne fin, et la guerre ne peut pas prendre fin s'il existe une
organisation, soutenue par le Canada et d'autres puissances occidentales, qui
fait tout ce qu’elle peut pour qu'elle se poursuive.
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Références :
Einat
Wilf: Without UNRWA there would be no Hamas — it must be dismantled,
traduction Le Bloc-note
Par Einat Wilf, National Post, 1er février 2024
Einat Wilf est ancien membre de la Knesset et
co-autrice, avec Adi Schwartz, de The War
of Return : How Western Indulgence of the Palestinian Dream Has Obstructed the
Path to Peace, publié en 2020 par All Points Books.