Les États-Unis poursuivent une stratégie rétrograde au Moyen-Orient, dans laquelle ils cherchent à éviter les conflits en imposant des contraintes à leurs alliés plutôt qu'en dissuadant leurs adversaires.
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Seth Cropsey |
Depuis les attaques du Hamas du 7 octobre,
Israël, les États-Unis et l'Iran se sont engagés dans une étrange danse
diplomatique. Il ne fait aucun doute que
l'Iran a soutenu les massacres du Hamas.
Téhéran est le principal
bienfaiteur du Hamas depuis 2018 et a intégré le Hamas dans son axe de
résistance en 2021. Le Hamas reçoit
un soutien militaire et technique de l'Iran - des armes et des renseignements
iraniens ont sans aucun doute été utilisés dans les attaques du 7 octobre.
Tous les mandataires de l'Iran dans son axe
de résistance partagent deux intérêts : la
destruction d'Israël et le déplacement de la puissance américaine du
Moyen-Orient. Le Hamas n'est pas différent. La charte du Hamas de 1998,
toujours en vigueur malgré les obscurcissements de l'ancien chef du Hamas,
Khaled Mashal, stipule que la seule solution à la question palestinienne est le
"Jihad", autrement dit la destruction d'Israël. Cela signifie qu’il
recherche la destruction d'Israël.
Les pièces de l'Iran et du Hamas s'emboîtent
parfaitement. Le Hamas a organisé les massacres du 7 octobre à la demande de l'Iran pour
entraîner Israël dans un conflit brutal à Gaza. Lorsque les forces de défense israéliennes se
seraient fracassées sur les défenses bien préparées du Hamas, l'Iran aurait
alors déclenché un soulèvement en Cisjordanie - qu'il a alimenté pendant des
mois avec ses agents qui font circuler des armes - et lancé un assaut à partir
du Liban et de la Syrie. Cet assaut aurait
bien pu bien impliquer une invasion terrestre du Golan, une étape éminemment
possible étant donné que l'Iran contrôle la 4e division et le 5e corps d'armée
syriens et qu'il peut s'appuyer sur au moins 50.000 combattants par procuration
en Irak, prêts à se sacrifier pour la libération d'Al-Aqsa. Pendant ce temps, les missiles du Hezbollah peuvent frapper les infrastructures
israéliennes, détruire l'économie, faire des milliers de victimes et, selon la
vision de l'Iran, briser le moral de l'État juif avant son 80e anniversaire. Un exode massif des Juifs vers l'Europe et
les États-Unis ne laisserait qu'une poignée de survivants, dont on pourrait se
débarrasser par les moyens exposés le 7 octobre.
L'administration Biden le sait sans doute,
tout comme elle doit comprendre que l'Iran est responsable de plus d'une
vingtaine d'attaques récentes au Moyen-Orient contre des bases
américaines. Pourquoi, alors, l'administration insiste-t-elle sur le fait que l'Iran
n'a "rien à voir" avec ces projets ?
La réponse réside dans sa peur de l'escalade.
En aucun cas l'équipe Biden, et l'équipe Obama qui l'a précédée, n'a été
disposée à utiliser la force de manière décisive pour atteindre les objectifs
de la politique américaine, ou pour permettre aux alliés des États-Unis de le faire.
De l'engagement timide et tardif dans la guerre de Syrie sous Obama au retrait
d'Afghanistan et à la priorité accordée à la gestion de l'escalade en Ukraine,
l'équipe Biden s'est conditionnée à croire que l'évitement des conflits est
l'état final de la stratégie.
À certains égards, cela ressemble à la
logique du système politique britannique dans les années 1920 et 1930, jusqu'à
quelques mois avant l'invasion de la Pologne par les nazis. L'apaisement est un terme rebattu, mais
l'histoire stratégique qui le sous-tend est illustrative. Jusqu'au milieu des années 1930, le calcul britannique était que le
revanchisme français représentait une menace au moins équivalente à l'ambition
allemande. Londres fondait son point
de vue sur deux hypothèses : premièrement, l'Allemagne, qu'elle soit de Weimar
ou nazie, ne souhaitait pas vraiment la brutalité ruineuse d'une guerre
européenne et, deuxièmement, l'URSS représentait en fin de compte une menace
équivalente, voire supérieure, à celle de l'Allemagne nazie. L'expansion
française aurait au pire ressuscité le spectre de la conquête bonapartiste, et
au mieux affaibli le rempart allemand contre la menace soviétique. C'est
pourquoi les Britanniques se sont constamment opposés à toute action française,
même limitée, contre l'Allemagne, jusqu'à et y compris pendant Munich. Les
pressions britanniques sur la France ont accordé à l'Allemagne par la
diplomatie ce que Londres cherchait à éviter par la guerre, à savoir l'absorption
d'une grande partie de la capacité militaro-industrielle de la Tchécoslovaquie,
hypothéquant ainsi toute possibilité d'une coalition d'encerclement contre
l'Allemagne. Le résultat fut une calamité stratégique.
L'apaisement se justifiait pour des raisons
stratégiques, et pas seulement psychologiques - son échec était avant tout
politique, et son échec moral en était un dérivé.
Il
en va de même pour la politique américaine à l'égard du Moyen-Orient. À deux brèves exceptions près - les trois
dernières années de l'administration Bush et la seconde moitié de
l'administration Trump - les États-Unis
ont considéré la puissance israélienne comme le problème. À travers cette lentille déformée, le conflit
israélo-palestinien empoisonne toute chance d'équilibre régional, ce qui exige
que les États-Unis restent engagés au Moyen-Orient, se salissant les mains en
travaillant avec les odieux pétroglyphes arabes. La solution, selon l'administration Obama,
consistait à rapprocher suffisamment les États-Unis de l'Iran pour [provoquer un
écart, le passage de] la lumière du jour avec Israël, puis à tirer parti de cette nouvelle relation pour forcer Israël à faire des
concessions sur la question palestinienne et sur l'ordre régional. L'intégration,
le mot d'ordre régional d'Obama et de Biden, devait inciter Téhéran à
participer à un système économique moyen-oriental qui maintiendrait la paix,
permettant ainsi un départ des États-Unis de la région.
La politique britannique d'avant la Seconde
Guerre mondiale et la politique américaine actuelle ont commis des erreurs
parallèles. L'hypothèse britannique selon laquelle aucun dirigeant ne pouvait
souhaiter une guerre en Europe était erronée. Hitler avait l'intention d'allumer une
conflagration dans sa tentative de suprématie germano-aryenne et il a incité le
peuple allemand à accepter sa vision.
De même, le régime iranien repose sur des
prémisses expansionnistes. Le khomeinisme veut que Téhéran exporte la
révolution islamique à travers l'Oumma dans sa quête de puissance mondiale. Le particularisme démocratique d'Israël
s'oppose à l'universalité théologique de l'Iran, tandis que les États-Unis sont
le croisé-usurpateur qui, avec Israël, bloque la voie stratégique de l'Iran.
L'objectif de l'Iran étant un conflit
régional, les tentatives américaines de "désescalade" de la situation
ne font que garantir une guerre plus étendue.
La prudence aurait consisté à
autoriser une frappe israélienne dans le nord peu après le 7 octobre, tout
en utilisant la puissance aéronavale américaine et des avions tactiques et des
unités de défense aérienne rapidement déployés pour démontrer à l'Iran le coût réel d'une escalade. En revanche, l'administration Biden a bloqué une offensive israélienne
dans le nord tout en limitant l'action à Gaza. Cela ne serait cohérent que si
l'administration Biden avait raison de dire que l'Iran cherche la désescalade
et qu'il n'attaquera que s'il est "provoqué" par une contre-mesure
israélienne ou américaine.
Cette
hypothèse est aussi farfelue que dangereuse. M. Biden s'est engagé dans une politique de
retenue qui permet à l'Iran de harceler et de sonder les États-Unis et Israël,
en procédant à une escalade au moment de son choix après avoir minutieusement
préparé le champ de bataille. L'Iran le prouve au Liban, où le Hezbollah
et le Jihad islamique palestinien, tous deux sous le contrôle du CGRI [Conseil
des Gardiens de la révolution islamiques],
érodent le système de surveillance d'Israël dans le nord en prévision d'une
attaque majeure. Il fait de même en Syrie, en préparant les conditions d'une attaque contre al-Tanf, une base
américaine située à cheval sur l'autoroute Bagdad-Damas, à la frontière syro-irako-jordanienne,
la voie logistique naturelle permettant à l'Iran de soutenir le Hezbollah et la
Syrie dans le cadre d'un conflit avec Israël. L'Iran joue la montre, préparant
le terrain pour une série d'opérations beaucoup plus vastes destinées à mettre
fin à la position de l'Amérique au Moyen-Orient.
Heureusement, l'administration Biden a mis en
place les éléments nécessaires pour rappeler à l'Iran la puissance que l'armée
américaine peut déployer à court terme. Indépendamment des escadrons de chasse déployés
au Moyen-Orient, les États-Unis ont également envoyé deux Carrier Strike Groups
dans la région, avec leur complément de deux croiseurs et onze destroyers à
missiles guidés, un nombre inconnu de sous-marins et un groupe amphibie de
Marines. Ces moyens sont plus que
suffisants pour répondre à toute attaque iranienne.
Pourtant, tant que les calculs stratégiques
des États-Unis resteront figés, l'Iran continuera à faire pression, ce qui
entraînera une guerre régionale. Les
États-Unis peuvent dissuader cette guerre par une action prudente et décisive -
au minimum une série de frappes sur les mandataires iraniens en Syrie et en
Irak, et au mieux une campagne aérienne de grande envergure en Syrie qui
anéantirait le réseau logistique iranien.
Il faudrait pour cela que l'administration actuelle fasse volte-face et
considère que l'agression contre Israël est à l'origine des tensions
régionales. Jusqu'à ce qu'un tel changement se produise, le refus de M. Biden
de reconnaître que la racine du mal au Moyen-Orient est constituée par les
théocrates iraniens garantit des conflits encore plus nombreux et bien plus
meurtriers.
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Strategic
Straitjacket, Traduction Le Bloc-note
par Seth Cropsey, in Real Clear Defense, le
6 novembre 2023
Seth Cropsey est le fondateur et le président
du Yorktown Institute. Il a été
officier de marine et sous-secrétaire adjoint à la marine. Il est l'auteur de
"Mayday and Seablindness".