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23 nov. 2023

L'accord sur les otages accule Israël à une course contre la montre, par Dominic Green

Avec un court cessez-le-feu qui entrerait en vigueur vendredi, le Hamas a pris le contrôle du calendrier de la guerre. Alors que le cessez-le-feu de quatre jours devait entrer en vigueur vendredi, le temps ne joue pas en faveur d'Israël dans la guerre qui l'oppose au Hamas à Gaza. 

Dominic Green

Israël est déjà confronté à des défis sans précédent dans l'histoire de la guerre. Un ennemi terroriste voué à sa destruction détient des centaines d'otages dans un réseau complexe de tunnels et utilise des civils comme boucliers humains. La société israélienne, déjà déchirée par des luttes politiques intestines, est traumatisée par l'assaut du Hamas du 7 octobre et divisée sur la manière de gérer la crise des otages. De nouveaux cessez-le-feu permettront de récupérer d'autres otages, mais cela ralentira et finira par arrêter les efforts d'Israël pour briser le contrôle du Hamas sur la bande de Gaza. Ce serait une défaite stratégique tant pour Israël que pour les États-Unis.

Israël a besoin de temps pour éradiquer le Hamas. Mais plus la guerre se prolonge, plus elle risque de dégénérer en un conflit régional attirant les États-Unis. Depuis le 17 octobre, des milices soutenues par l'Iran ont lancé plus de 60 attaques à la roquette contre les forces américaines en Irak et en Syrie. Si une roquette ou un drone tue des troupes américaines, l'administration Biden sera confrontée à sa propre crise. Elle pourrait soit riposter contre l'Iran et risquer des conséquences militaires, économiques et électorales imprévisibles, soit se retirer du Moyen-Orient, abandonnant Israël et cédant une région cruciale dans la lutte des grandes puissances entre les États-Unis et la Chine.

Peu d'observateurs sont mieux placés que Michael Oren pour comprendre ces dilemmes. Historien israélo-américain des relations entre les États-Unis et le Moyen-Orient, M. Oren a servi à Gaza dans les forces de défense israéliennes, puis a été conseiller lors de plusieurs cycles de négociations de paix avec les Palestiniens. Il a été ambassadeur d'Israël à Washington pendant les années Obama. Il a été chargé de la question de Gaza en tant que vice-premier ministre de Benjamin Netanyahu.

M. Oren salue le soutien franc du président Biden à Israël. Il approuve la déclaration du président selon laquelle "un cessez-le-feu n'est pas la paix" tant que le Hamas "s'accroche à son idéologie de destruction". Il s'agit d'une guerre par d'autres moyens, qui permet aux terroristes de "reconstituer leur stock de roquettes, de repositionner leurs combattants et de recommencer à tuer en attaquant à nouveau des innocents". M. Oren s'attend à ce que les pressions américaines et internationales en faveur d'un cessez-le-feu augmentent "de manière exponentielle" dans les semaines à venir.

Un cessez-le-feu prive Israël de son élan militaire et transfère l'initiative au Hamas. Maintenant qu'Israël a accepté un court cessez-le-feu, l'administration Biden et ses interlocuteurs qataris s'attendront à des cessez-le-feu plus longs. Le Hamas restera armé et dangereux à Gaza, malgré les objectifs de guerre d'Israël et les objectifs déclarés des États-Unis, et profitera de ce cessez-le-feu pour se regrouper. Les conditions du cessez-le-feu permettent au Hamas de prolonger la trêve en libérant 10 otages par jour. À mesure que la possibilité d'une trêve permanente se rapproche et que le Hamas commence à échanger des otages adultes, masculins et militaires, les exigences du groupe augmentent. Les États-Unis feront pression sur Israël pour qu'il libère des centaines de terroristes palestiniens.

La libération partielle d'otages accroît également la pression à l'intérieur d'Israël en faveur de nouveaux cessez-le-feu. La société israélienne et le cabinet de M. Netanyahu sont déjà divisés par un véritable "choix de Sophie" : Qui est renvoyé chez lui, et qui est laissé derrière ? Le gouvernement israélien insiste sur le fait que sa campagne à Gaza reprendra une fois le cessez-le-feu expiré, mais une combinaison de pressions nationales et internationales pourrait empêcher Israël de reprendre son élan militaire. Le département d'État refuse d'ores et déjà d'approuver une avancée israélienne dans le sud de la bande de Gaza, invoquant des considérations humanitaires.

Un cessez-le-feu temporaire qui deviendrait permanent est incompatible avec l'engagement de l'administration Biden en faveur de la sécurité d'Israël. Plus de 200 000 Israéliens sont déplacés à l'intérieur des régions méridionales voisines de Gaza et de la frontière septentrionale avec le Liban. Ce cessez-le-feu avec le Hamas ne permettra pas à ces Israéliens de rentrer chez eux. Il renforcera toutefois l'Iran et ses mandataires, dont aucun n'est partie prenante à l'accord de cessez-le-feu. Les attaques du Hezbollah à la frontière nord d'Israël se sont intensifiées ces dernières semaines, tout comme le rythme des tirs de roquettes des milices soutenues par l'Iran sur les bases américaines en Irak et en Syrie. Les Houthis du Yémen, qui ont été retirés de la liste des organisations terroristes étrangères lors de l'entrée en fonction de l'administration Biden, ont détourné un cargo en mer Rouge et lancé des missiles balistiques en direction d'Israël.

"Que se passera-t-il lorsque le message sera passé que nous pouvons être frappés plus ou moins impunément et que, lorsque nous essaierons de nous défendre, quelqu'un nous imposera un cessez-le-feu ? demande M. Oren.

Le rétablissement de la dissuasion d'Israël est une question de survie pour l'État juif. C'est également un atout que les États-Unis défendent en réapprovisionnant Israël et en envoyant deux porte-avions dans la région. Les Israéliens apprécient aujourd'hui le caractère indispensable du soutien américain plus que jamais depuis la guerre du Kippour de 1973. Il est essentiel que l'administration Biden utilise judicieusement son influence.

M. Oren confirme les informations selon lesquelles, après le 7 octobre, le ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, a conseillé de lancer une attaque préventive contre le Hezbollah avant de s'attaquer au petit arsenal de roquettes du Hamas dans la bande de Gaza. M. Gallant a été rejeté par le cabinet en partie, selon M. Oren, en raison des "énormes pressions" exercées par l'administration Biden. L'avertissement en un mot du président à l'Iran et à ses supplétifs - "Ne le faites pas" - s'applique également à Israël.

M. Oren entend plusieurs horloges tourner en même temps. Un court cessez-le-feu ne ralentira aucune d'entre elles, et il exacerbera certaines de leurs pressions. Il y a l'"horloge des munitions" : Les FDI ont besoin d'être régulièrement réapprovisionnées en munitions de pointe fabriquées aux États-Unis. Il y a l'"horloge des réservistes" : Israël a mobilisé une armée équivalente à celles de la Grande-Bretagne et de la France réunies ; ses jeunes hommes et femmes, dit-il, forment "l'épine dorsale de notre économie de haute technologie". Il y a l'"horloge économique" : Les investissements étrangers et le tourisme se sont effondrés, et Israël brûle de l'argent pour la guerre. Il y a l'"horloge humanitaire" : Les images continuent de montrer des victimes civiles et plus d'un million de personnes déplacées à Gaza.

Israël doit arrêter ces horloges pour survivre. L'administration Biden devrait créer le temps et l'espace diplomatique nécessaires aux forces israéliennes pour briser le Hamas. Cela signifie qu'il faut empêcher les terroristes de fixer le calendrier de la guerre de Gaza, laisser Israël frapper le Hezbollah si nécessaire et rétablir la dissuasion américaine contre les attaques à la roquette soutenues par l'Iran. Cela signifie également qu'il faut repenser la stratégie américaine à l'égard de l'Iran.

Les dirigeants israéliens, dont M. Oren, ont commis l'erreur de croire que le Hamas pouvait être acheté avec de l'argent qatari et des permis de travail. L'administration Obama, dit-il, "a fait la même erreur" à propos de l'Iran. L'administration Biden, qui a transféré 6 milliards de dollars à l'Iran pour obtenir la libération de cinq otages américains en septembre et qui a laissé tomber les sanctions sur la technologie des missiles iraniens, se fait les mêmes illusions. La longue campagne des démocrates visant à fuir le Moyen-Orient en apaisant l'Iran s'est soldée par un "échec cuisant", selon M. Oren. Les États-Unis ont été ramenés dans la région par une agression soutenue par l'Iran.

Deux autres horloges tournent : le compte à rebours avant la sortie du nucléaire iranien et le compte à rebours avant ce que M. Oren appelle le moment "crucial" où un missile iranien tuera des Américains ou frappera un navire de la marine américaine. Ce serait également un coup direct sur "les contradictions de la politique américaine". Le temps presse pour Israël, mais les États-Unis approchent eux aussi d'un moment fatidique.

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Références :

The Hostage Deal Means Israel Is Fighting the Clock, traduction Le Bloc-note

par Dominic Green, Wall Street Journal, le 22 novembre 2023

Dominic Green, fils du saxophoniste et écrivain Benny Green et de l'actrice Toni Kanal, et frère du saxophoniste et présentateur de la BBC Radio Leo Green, est né en 1970. Il est un historien, chroniqueur et musicien britannique. Membre de la Royal Historical Society et de la Royal Society of Arts, il est rédacteur en chef de l'édition américaine du Spectator et rédacteur en chef de The Critic, chroniqueur et critique de films pour The Spectator et chroniqueur pour The Daily Telegraph. Il contribue au Wall Street Journal