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12 janv. 2024

À Gaza, Israël peut gagner la guerre mais pas la paix, par Michael Mandelbaum

L'armée israélienne peut empêcher d'autres attaques comme celle du 7 octobre, mais l'instauration d'une paix véritable dépend des Palestiniens.

Michael Mandelbaum

L'opération militaire israélienne en cours dans la bande de Gaza soulève deux grandes questions : les forces de défense israéliennes (FDI) peuvent-elles atteindre leurs objectifs militaires dans cette région ? Et peut-on mettre en place des arrangements politiques d'après-guerre qui rendront inutiles les futures actions militaires israéliennes dans la bande de Gaza ? La réponse à la première question est probablement oui ; la réponse à la seconde est probablement non.

En ce qui concerne la première question, les FDI ne seront pas en mesure de tuer ou de capturer chacun des 30.000 à 40.000 combattants déployés par le Hamas, l'organisation responsable de l'assaut meurtrier contre le sud d'Israël le 7 octobre 2023, qui a tué 1 200 personnes et en a pris 240 autres en otage. Elle ne peut pas non plus éradiquer les idées qui motivent les dirigeants du Hamas et leurs partisans. Elle peut cependant garantir que des attaques comme celles du 7 octobre ne se reproduiront pas. Une observation d'Aviv Kochai, ancien chef d'état-major israélien, fournit un indice sur la principale condition du succès militaire israélien à Gaza. Il a noté que le Hamas s'était transformé au fil des ans d'une organisation terroriste, engagée dans des tactiques de guérilla contre Israël, en une armée à part entière.

C'est en effet le cas. Il est organisé comme une armée, avec des pelotons, des bataillons et des brigades. Elle dispose d'un vaste arsenal d'armes puissantes, dont des roquettes et des missiles qu'elle a tirés sur Israël. Il possède sa propre industrie de défense qui fabrique ses armements. La particularité et l'importance de cette armée résident dans le fait qu'elle est basée sous terre, dans les centaines de kilomètres de tunnels que le Hamas a creusés et renforcés après avoir pris le pouvoir à Gaza en 2007. Avant le 7 octobre, ces tunnels protégeaient largement le Hamas des frappes aériennes israéliennes, lui permettant de devenir de plus en plus puissant et dangereux.

La tâche la plus importante de l'opération des FDI à Gaza est de détruire les tunnels. Il s'agit d'une activité longue, ardue et périlleuse ; les combattants du Hamas continuent de s'y cacher pour lancer des attaques contre les soldats israéliens. La réalisation de cet objectif dépend non seulement de la bravoure des soldats israéliens, mais aussi de l'habileté des ingénieurs de combat israéliens, qui ont pour mission de faire exploser les tunnels ou de les rendre inhabitables par d'autres moyens. Dans la mesure où Israël peut détruire ces redoutes souterraines, ce qui reste du Hamas devra opérer en surface, où il sera vulnérable à la puissance de feu israélienne. Un Hamas en surface, même fortement réduit en force à la suite de la campagne militaire israélienne, continuera à lancer des attaques isolées contre des cibles israéliennes, mais il se transformera de nouveau en une organisation terroriste. Exposé à la puissance aérienne d'Israël et aux attaques des forces terrestres israéliennes, il ne sera pas en mesure de monter des assauts de l'ampleur de ceux du 7 octobre.

Bien entendu, le meilleur résultat possible de la guerre à Gaza serait l'arrêt de toutes les attaques contre Israël depuis le sud. Malheureusement, cela est peu probable : quels que soient les accords politiques d'après-guerre mis en place, il est presque certain qu'ils ne mettront pas fin à ces attaques.

L'administration Biden a fait savoir qu'elle préférait que l'Autorité palestinienne (AP), désormais installée en Cisjordanie, prenne la responsabilité de gouverner Gaza après la fin des principaux combats. Un tel arrangement déchargerait Israël de la responsabilité de ce territoire, qu'il a tenté d'abandonner par un retrait unilatéral en 2005, lorsqu'il a expulsé plus de 9.000 Israéliens vivant dans 25 communautés de la région. Un gouvernement palestinien mettrait Gaza en conformité avec le précepte largement répandu selon lequel tout peuple doit se gouverner lui-même.

Toutefois, il est peu probable que l'Autorité palestinienne ait la volonté ou la capacité de mettre fin aux attaques contre Israël. Elle est faible, corrompue, inefficace et impopulaire auprès des Palestiniens. Son président, Mahmoud Abbas, âgé de 88 ans, effectue actuellement la 19e année d'un mandat qui était censé être de quatre ans. Aucune élection présidentielle palestinienne n'a eu lieu depuis 2005. En outre, bien que l'AP diffère du Hamas sur des points importants et que les deux soient rivaux pour le pouvoir, leurs perspectives politiques se chevauchent considérablement. L'AP, elle aussi, produit une propagande antijuive ignoble. Elle aussi insiste sur le fait que tous ceux qui ont quitté Israël lors de sa création en 1948 - la plupart à cause de la guerre déclenchée par les Arabes dans le but de détruire le nouvel État juif - et tous leurs nombreux descendants doivent être autorisés à revenir en Israël, une demande qui non seulement ne repose sur aucune base historique ou juridique, mais qui constitue également une formule pour la fin de l'État juif.

L'AP soutient le terrorisme anti-israélien, en donnant de l'argent aux familles de ceux qui s'y livrent. Ses dirigeants, d'abord Yasir Arafat et maintenant Abbas, ont toujours refusé les offres israéliennes de création d'un État et n'ont jamais fait de contre-propositions sérieuses. Ce faisant, ils ont écouté leurs électeurs. Un sondage réalisé en temps de guerre auprès des Palestiniens a révélé que 72 % des personnes interrogées estimaient que les attaques du 7 octobre étaient "correctes", 82 % des habitants de la Cisjordanie et 57 % de ceux de la bande de Gaza étant de cet avis. Les sondages d'opinion palestiniens ont également montré un rejet massif de l'objectif, de la communauté internationale, d'avoir deux États, Israël et la Palestine, vivant pacifiquement l'un à côté de l'autre. La plupart des Palestiniens n'acceptent pas la légitimité ou la permanence d'Israël.

Tout cela fait du nationalisme palestinien le seul des nombreux mouvements nationalistes apparus depuis le XIXe siècle dont l'objectif n'est pas la création de son propre État-nation, mais plutôt la destruction de l'État d'un autre peuple. (Le pourquoi de cette situation est une question sociale, politique, historique et culturelle complexe. Pour commencer à y répondre, comme à toutes les questions relatives au Moyen-Orient, il convient de consulter les travaux du grand historien de la région, le regretté professeur Bernard Lewis, en particulier son court ouvrage de 2002 intitulé What Went Wrong ?)

Le retrait des forces israéliennes de Gaza ne changera pas non plus l'attitude des Palestiniens à l'égard des Juifs et de leur État. Au contraire, il est fort probable qu'il soit considéré comme un signe de faiblesse israélienne, renforçant ainsi ces attitudes. Les retraits d'Israël de certaines parties de la Cisjordanie en vertu de l'accord d'Oslo de 1993, du sud du Liban en 2000 et de Gaza en 2005 n'ont pas réussi à susciter la bonne volonté. Au contraire, ils ont conduit à des campagnes de terreur contre Israël. Le rejet d'Israël par les Palestiniens est la cause essentielle et animatrice du conflit entre les deux peuples. Les Israéliens n'ont pas le pouvoir de le changer ; ils ne peuvent que réagir à ses conséquences.

Peut-être que cette fois-ci, l'attitude des Palestiniens changera. Parce que le Hamas s'est caché dans les profondeurs de la terre après avoir perpétré les massacres du 7 octobre, Israël a été obligé de mener la guerre que ces massacres ont déclenchée d'une manière qui a apporté plus de destruction à Gaza qu'aucune population arabe n'en a souffert dans aucun conflit israélo-arabe antérieur. Peut-être les Palestiniens tireront-ils de cette expérience la conclusion que les efforts qu'ils déploient depuis des décennies pour abolir l'État juif sont devenus trop coûteux pour être maintenus. Peut-être aussi que de nouveaux dirigeants apparaîtront parmi les Palestiniens, des dirigeants prêts à construire leur propre État plutôt que de chercher à détruire celui des Israéliens. Ou peut-être qu'une sorte de force arabe multinationale gouvernera et pacifiera Gaza et limitera les agressions contre Israël. Le scénario le plus probable, cependant, est qu'une AP inefficace exerce une autorité nominale à Gaza et qu'Israël, contrairement aux souhaits de la majorité de sa population, assume à contrecœur la responsabilité de la sécurité dans cette région.

Dans ce cas, et à moins qu'une transformation fondamentale des attitudes palestiniennes, ou une transformation fondamentale de la gouvernance de Gaza, ou les deux, ne se produise, le conflit qui dure depuis des décennies et qui a produit les horreurs du 7 octobre persistera. Dans ces conditions, les attaques contre Israël se poursuivront sous une forme ou une autre. Les Israéliens devront répondre en se défendant. Et la guerre en cours à Gaza s'avérera être la dernière, mais pas l’ultime, d’une série d'affrontements dans cette région.

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Références :

In Gaza, Israel Can Win the War But Not the Peace, traduction Le Bloc-note

par Michael Mandelbaum, The Jerusalem Strategic Tribune, Janvier 2024

Michael Mandelbaum est professeur émérite au département Christian A. Herter de politique étrangère américaine à la Johns Hopkins School of Advanced International Studies.  Son nouveau livre, The Titans of the Twentieth Century : How They Made History and the History They Made - une étude sur Woodrow Wilson, Lénine, Hitler, Churchill, Franklin D. Roosevelt, Gandhi, Ben-Gurion et Mao - sera publié en septembre 2024.