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3 mai 2024

Les vicissitudes de l’accord sur les otages et les inquiétudes des Égyptiens, par Yoni Ben-Menachem

M. Ben-Menachem estime que des concessions aussi importantes et significatives à ce stade laisseraient au Hamas, outre la plupart des otages, un levier de pression très important sur Israël pour poursuivre son action.

Yoni Ben-Menachem

Malgré plusieurs rapports indiquant que le mouvement Hamas a réagi positivement à la réponse d'Israël à la proposition égyptienne, Aizat Rishak, membre du bureau politique du Hamas, a déclaré que le Hamas n'a publié aucune référence à l'accord de libération des personnes enlevées. Rishak a déclaré que le Hamas est toujours en train d'examiner le texte et que les publications en Israël ne font que créer la confusion.

Ben-Menachem a également noté que les responsables du Hamas tentent de réduire l'enthousiasme d'Israël et de Blinken, le secrétaire d'État américain qui se trouve actuellement en Arabie Saoudite. Dans cette analyse, M. Ben-Menachem a également fait référence aux déclarations de M. Blinken de ce matin, où il présente l'offre égyptienne comme généreuse : le Hamas devrait l'accepter et les États-Unis espèrent qu’il prendra une décision rapidement.

Pour Ben-Menachem, le message glaçant du Hamas, de la bouche de Rishek, signifie "qu'Israéliens, Américains ou Égyptiens essaient de le mettre sous pression et de le pousser à conclure cet accord". Le Hamas, pour sa part, dit qu'il n'est pas pressé d'arriver à quelle conclusion que ce soit".

M. Ben-Menachem a souligné que personne ne sait vraiment lles réserves présentées par Israël à la délégation des services de renseignements égyptiens qui a eçu sa proposition. Seule une publication de Yaron Avraham affirme qu'Israël serait prêt à se retirer du corridor de Netzarim. À ce sujet, Ben-Menachem a déclaré : "Je ne pense pas que cela ait beaucoup de sens, car c'est l'une des cartes d'Israël. Le corridor coupe la bande de Gaza en deux et bloque le passage des personnes déplacées depuis le nord de la bande de Gaza et retour.

Il permet d'exercer une pression très forte sur le Hamas. Nous parlons de 20 à 40 otages qui seront libérés sur 133. Ce chiffre n'est pas définitif car le Hamas affirme qu'il lui sera difficile de s'engager sur 40 otages vivants, qu'il n'a pas exactement le contrôle et qu’il ne sait pas ce qui se passe avec les otages qui ne sont pas détenus par lui. Le Hamas est prêt à s'engager pour 20 otages seulement".

D'autre part, Ben-Menachem précise qu'"Israël exige, selon les données du renseignement dont il dispose, au moins 33 otages. Même si, dans le meilleur des cas, le Hamas rendait 33 otages vivants, cela signifierait que 100 otages israéliens resteraient entre ses mains".

M. Ben-Menachem estime que des concessions aussi importantes et significatives à ce stade laisseraient au Hamas, outre la plupart des otages, un levier de pression très important sur Israël pour poursuivre son action. Il reconnaît leur motivation et le fait que leurs exigences fondamentales sont l'arrêt complet de la guerre par Israël et le retrait complet de la bande de Gaza. Cela signifie qu'ils resteraient au pouvoir et que la situation reviendrait au 6 octobre.

Si c'est effectivement le cas, pour Ben-Menachem, "ils ont assassiné 1.400 Israéliens, nous avons perdu plusieurs centaines de soldats et des milliers de blessés dans la guerre, et à la fin ils ont gagné, parce qu'en échange de 33 otages (pour être très optimiste), nous libérerons des centaines de terroristes, y compris des meurtriers extrêmement dangereux".

Il a souligné qu’il y aura très probablement dans la liste des prisonniers des personnes encore plus dangereuses que Sinwar, par exemple Abdullah Barghouti, qui purge 67 peines de prison à vie dans une prison israélienne. M. Ben-Menachem a poursuivi : "Si l'on fait le bilan de cet accord, il s'agit d'une défaite, la pire qui soit pour Israël. En effet, la plupart des otages restent entre leurs mains, et il ne nous reste aucun moyen de pression." Il estime que les chances d'un accord sont de 50 %. En ce qui concerne l’arrêt de la guerre apparemment accepté, il a déclaré que "c'est quelque chose que chacun peut interpréter comme il veut".

L'implication de l'Égypte dans le conflit entre Israël et le Hamas

En ce qui concerne l'Égypte, M. Ben-Menachem a déclaré : "Ils ont vu comment Tsahal a attaqué lorsque la guerre a commencé. Dans le nord de la bande de Gaza, nous avons largué des bombes et éliminé de nombreuses personnes. Je ne sais pas si les chiffres palestiniens sont exacts et il se peut qu'ils soient exagérés, mais il ne fait aucun doute que nous avons tué un nombre important de personnes là-bas. Les Égyptiens ont vraiment peur qu'il y ait un passage forcé de milliers de réfugiés".

Selon lui, les Égyptiens pensent que le Hamas veut compliquer les choses en poussant les personnes déplacées à franchir la clôture et à se rendre sur leur territoire. "Cela s'est déjà produit par le passé, se souvient-il, il y a quelques années, ils ont franchi la clôture par la force et les Égyptiens ont dû leur tirer dessus.

Ben-Menachem pense que les Égyptiens ne seront pas en mesure d'arrêter les milliers de Palestiniens qui se déplaceront par peur des bombes ou que le Hamas poussera. "Les Égyptiens ne pourront pas ouvrir le feu et tuer des milliers de Palestiniens pour éviter que ces derniers ne pénètrent sur le territoire égyptien. Cela crée déjà un très gros problème pour le président égyptien. Cela déstabiliserait immédiatement l’équilibre interne de l'Égypte. Le Hamas fait partie du mouvement des Frères musulmans, qui est le principal mouvement d'opposition au président El-Sisi, et qui tente de le renverser. Lorsqu'il est arrivé au pouvoir, il les a éliminés par la force et les a mis hors-la-loi. Aujourd'hui, ils sont considérés comme une organisation terroriste en Égypte".

Ben-Menachem compare ce qui se passe depuis un mois en Égypte avec ce qui se passe en Jordanie et il affirme que le roi Abdallah a perdu le contrôle : "Les Frères musulmans et le Hamas organisent d'énormes manifestations en Jordanie et ils menacent ouvertement le roi Abdallah dans son pouvoir. En Égypte, on a peur que tout soit sous la férule des forces de sécurité égyptiennes, qui procèdent à des arrestations préventives et empêchent par la force la cocotte-minute d'exploser. Cela provoquerait d'immenses manifestations en Égypte, qui pourraient faire tomber le pouvoir. La majorité arabe sympathise à 100 % avec le Hamas et déteste Israël. Elle est opposée aux accords de paix. Les dirigeants, quant à eux, jouent le jeu des Américains, car ils en ont besoin. L'Égypte, par exemple, a besoin de l'aide militaire et économique de l'Amérique, sans laquelle elle s'effondrerait, le gouvernement égyptien s'effondrerait". En outre, M. Ben-Menachem estime que les Égyptiens maîtrisent mieux la situation interne que les Jordaniens. Le président El-Sisi craint que si les Gazaouis entrent en Egypte, il y ait un massacre et que les médias du Hamas et du Qatar le couvrent.

M. Ben-Menachem souligne un autre espoir des égyptiens : "Ils ont également besoin de l'aide d'Israël, pour faire pression sur le Congrès et le Sénat en leur faveur". Cela découle de la coopération en matière de sécurité entre Israël et l'Égypte.

En outre, M. Ben-Menachem a révélé les conversations qu'il a entendues chez des responsables de la sécurité : "Les Égyptiens ont tout simplement peur que leur nudité soit révélée au public, car dès que les FDI s'empareront de l'axe Philadelphie, elles découvriront les tunnels qui se trouvent en dessous et qui sont utilisés depuis des années pour introduire clandestinement des armes à partir de l'Égypte. Les Égyptiens affirment qu'il n'y a pas de contrebande sous l'axe Philadelphie, qu'il n'y a pas de tunnels, qu'en 2012 ils les ont inondés l'eau et tous fermés. Il s’agirait d'inventions israéliennes pour occuper Rafah".

Ben-Menachem a souligné qu'un responsable israélien de la sécurité a déclaré qu'il y avait 130 tunnels sous l'axe de Philadelphie, "Je ne sais pas si c'est vrai ou si c'est de la propagande israélienne, mais Israël insiste sur le fait qu'il y en a. Les Égyptiens craignent que si Israël s'empare de ces tunnels, ce soit pour eux un coup dur au niveau mondial, étant donné leur insistance à dire qu'il n’y en a pas et que tout n'est que mensonges israéliens. Ils pensent qu’à voir comment Israël se conduit et se bat, en fin de compte, il ne vaincra pas le Hamas. Si le Hamas reste au pouvoir dans la bande de Gaza, les Égyptiens risquent de payer un lourd tribut. Jusqu'en 2017, le Hamas a participé à des attaques contre la police et l'armée égyptienne à l'intérieur du territoire égyptien, en compagnie des Frères musulmans et la branche Daesh du nord du Sinaï. Ils ont même été complices dans une agression très connue contre le procureur général égyptien."

Il conclut : "Cette coopération entre le Hamas, les Frères musulmans et Daesh contre le pouvoir d'al-Sisi a beaucoup inquiété les Égyptiens". En 2017, Sinwar a été élu à la tête du Hamas et il a conclu un accord avec les services de renseignement égyptiens stipulant que son bras militaire mettrait fin aux attaques sur le territoire égyptien et, qu’en contrepartie, le passage de Rafah soit disponible de manière continue pour les personnes et les marchandises. Ce serait une porte ouverte au Hamas vers le monde extérieur. Sinwar a tenu son engagement envers les Égyptiens. S'il reste au pouvoir, il devra rendre compte à l'Égypte de tout ce qui s'est passé. S'il sort victorieux de la guerre, il reviendra au terrorisme, avec les Frères musulmans et lDaesh contre le pouvoir d'al-Sisi. Les Égyptiens ne voient pas de véritable détermination israélienne d’éliminer le Hamas. Ils sont très inquiets à ce sujet."

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Références :

'Egyptians don't see Israeli determination to defeat Hamas,' Mid. East expert says, traduction Le Bloc-note

Interview de Yoni Ben-Menachem, Jerusalem Post, 2 Mai 2024

Yoni Ben-Menachem est journaliste. Il a précédemment occupé le poste de PDG de l'Autorité israélienne de radiodiffusion et de directeur du réseau de radiodiffusion Voice of Israel. Il a servi dans les services de renseignement israéliens et il a été démobilisé avec le grade de capitaine. Il a ensuite obtenu une licence en langue et littérature arabes et une maîtrise en études de l'Asie de l'Est. Il parle couramment l'arabe dans plusieurs dialectes.

Ben-Menachem a été le premier journaliste à interviewer Yasser Arafat avant les accords d'Oslo et il a couvert, entre autres, les contacts politiques d'Israël avec les Palestiniens, avec la Syrie, dans le mémorandum de Wye River, les accords de Camp David, etc. Aujourd'hui, il est chercheur au Jerusalem Center for Public Affairs, commentateur sur les chaînes de médias arabes et conférencier sur le thème du Moyen-Orient.

Il est également consultant en matière de crises politiques, de renseignement et de terrorisme. Ses compétences, son expérience et sa connaissance approfondie des nuances du Moyen-Orient lui permettent d'analyser la réalité et les défis auxquels Israël est actuellement confronté. Maariv lui a demandé de contribuer de son point de vue, en particulier pour comprendre l'Égypte en tant qu'acteur dans le tissu global des intérêts de la région.