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28 avr. 2024

Toute préoccupation humanitaire passe par l’échec de la stratégie de sacrifices humains du Hamas, par Douglas J. Feith et Lewis Libby

L'attention du monde entier étant rivée sur le stupéfiant affrontement aérien entre l'Iran et Israël, il est facile de se désintéresser de Gaza. Pourtant, la guerre qui s'y déroule n'est toujours pas résolue.

Douglas J. Feith et Lewis Libby

Le président Biden a soutenu Israël contre le barrage de drones et de missiles lancé par l'Iran le 13 avril. Les forces militaires américaines ont même abattu certaines des armes iraniennes tirées sur Israël.

De même, le président avait fait preuve de solidarité avec Israël après l'attaque surprise du Hamas le 7 octobre. Quelques jours après que cette attaque a entraîné Israël dans une guerre non désirée, le président Biden a déclaré avec passion : « Nous sommes avec Israël ». Soulignant le droit d'Israël à se défendre, le président a déclaré : « Le Hamas ne défend pas le droit du peuple palestinien à la dignité et à l'autodétermination. . . . Il utilise les civils palestiniens comme boucliers humains. Le Hamas n'offre rien d'autre que la terreur et l'effusion de sang ».

Aujourd'hui, bien que des bataillons du Hamas restent retranchés près de la frontière entre Gaza et l'Égypte, l'administration Biden fait pression sur Israël pour qu'il cesse les combats. M. Biden affirme que les préoccupations humanitaires exigent un cessez-le-feu prolongé afin d'alléger les souffrances des civils de Gaza. Mais un tel cessez-le-feu servirait-il réellement des objectifs humanitaires ?

Le président ne dit pas que le Hamas a été suffisamment démantelé. Mettre fin à la guerre immédiatement permettrait au Hamas de survivre et de conserver son pouvoir militaire et gouvernemental. Le laisser dans la zone contenant les routes de contrebande Sinaï-Gaza permettrait au Hamas de se réarmer. C'est pourquoi les dirigeants du Hamas plaident aujourd'hui en faveur d'un cessez-le-feu.

Un cessez-le-feu soulagera quelque peu les habitants de Gaza aujourd'hui, mais un cessez-le-feu prolongé préservera l'oppression sanglante du Hamas sur Gaza et rendra inévitables les futures guerres avec Israël.

Les humanitaires auraient-ils dû demander un cessez-le-feu pour soulager les civils souffrant dans le sud des États-Unis pendant la guerre de Sécession ou les civils allemands affamés pendant la Seconde Guerre mondiale ? Dans les décennies qui ont suivi ces guerres, l'Amérique et l'Allemagne se sont bien mieux portées que si les humanitaires, pour réduire les pertes civiles, avaient sauvé la Confédération et le régime nazi de la destruction. Lincoln, Churchill et Roosevelt avaient raison sur le plan moral de donner la priorité à la défaite des régimes répressifs et dangereux de leurs ennemis. Les victimes nationales de ces régimes en ont finalement bénéficié, tout comme la cause de la paix internationale.

Pour la plupart des habitants de Gaza, même en l'absence de guerre chaude, la dictature du Hamas est une tyrannie cauchemardesque. Le régime du Hamas se caractérise par la torture et le meurtre des opposants au régime, la corruption des fonctionnaires, l'endoctrinement extrémiste des enfants et la misère de la population en général. Le Hamas détourne l'aide étrangère et d'autres ressources de leur usage approprié ; au lieu d'améliorer la vie de la masse de la population, il utilise les fonds pour lutter contre les Palestiniens et les Israéliens. Les objectifs du Hamas sont d'éclipser l'Autorité palestinienne, de prendre le contrôle de la Cisjordanie et d'établir le leadership du Hamas sur la révolution palestinienne. Le but ultime du Hamas est de déclencher une guerre régionale pour anéantir Israël et, comme le soutiennent fermement les dirigeants du Hamas, de réaliser la prescrption coranique de tuer tous les Juifs.

Lorsque le Hamas provoque des guerres chaudes avec Israël, ce qu'il fait périodiquement, la souffrance des habitants de Gaza s'intensifie. Paradoxalement, le Hamas vise ce résultat parce qu'il sait qu'il peut exploiter cette souffrance à des fins stratégiques.

Le Hamas avait prévu que les cadavres de bébés et de mères palestiniens serviraient de moteur à son plan de guerre du 7 octobre. Le Hamas a calculé qu'il pourrait survivre à une guerre contre une force israélienne supérieure et dynamiser les ennemis d'Israël dans le monde entier. Pour atteindre ces deux objectifs, il fallait s'arranger pour que les Palestiniens subissent de lourdes pertes civiles. Si elles étaient imputées à Israël, les victimes non combattantes de Gaza pourraient susciter des soulèvements chez les Arabes et les musulmans du monde entier et alimenter les demandes de cessez-le-feu qui permettraient au Hamas de revendiquer la victoire.

À cette fin, le Hamas s'est efforcé, pendant une quinzaine d'années, de placer des équipements militaires dans les écoles, les hôpitaux, les mosquées et les résidences, ou à proximité, et de construire son énorme et dense réseau de tunnels sous les villes de Gaza. Ce réseau s'étend sur plus de 350 miles, à l'intérieur des 141 miles carrés de Gaza. Il est plus long que le célèbre métro de Londres, qui dessert une zone plus de quatre fois plus grande. Le réseau comprend environ 5.700 puits verticaux, dont beaucoup émergent dans des maisons ordinaires.

Mousa Abu Marzouk, haut responsable du Hamas, a expliqué dans une interview télévisée du 27 octobre 2023 que le Hamas construisait sous les maisons et les entreprises civiles non pas pour protéger les civils, car «c'est le travail des Nations unies de les protéger», mais parce que «nous combattons de l'intérieur des tunnels » et que les combattants du Hamas n'ont «pas d'autre moyen de se protéger ».

Pour se défendre, Israël doit atteindre les combattants du Hamas dans les tunnels. Pour ce faire, il a dû dévaster la vie des civils à Gaza, comme le voulait le Hamas. Le Hamas comptait sur ces morts pour alimenter les demandes internationales invitant Israël à mettre fin prématurément à son offensive. Le Hamas, sauvé, en sortirait gagnant.

La stratégie des boucliers humains, décriée par M. Biden, serait déjà une mauvaise chose. Mais celui qui utilise des boucliers humains espère généralement dissuader l'ennemi d'attaquer, et non pas tuer les boucliers. Ce que fait le Hamas est pire. Il emploie une stratégie de sacrifice humain, augmentant intentionnellement le nombre de victimes civiles parmi son propre peuple.

Le fait que le Hamas se cache parmi les civils est un crime de guerre contre la population de Gaza. Nous n'insistons pas sur ce point pour être légalistes, mais pour souligner l'immoralité de ce stratagème. Dans des circonstances normales, les auteurs d'une telle immoralité seraient largement condamnés. Toutefois, en ce qui concerne la guerre à Gaza, les personnes qui parlent au nom de l'humanitarisme s'efforcent de récompenser le Hamas pour ce crime.

Bien qu'elle ait permis de tuer ou de capturer plus de 1.400 Israéliens, l'attaque du 7 octobre du Hamas n'a pas produit tous les résultats escomptés. Les dirigeants du Hamas souhaitaient que le massacre et les combats qui ont suivi à Gaza incitent les Arabes israéliens à se révolter, comme ils l'ont fait pour soutenir le Hamas en mai 2021. Le Hamas souhaitait également déclencher des soulèvements de grande ampleur en Cisjordanie, au Liban et ailleurs. Au grand embarras du Hamas, le Ramadan s'est déroulé sans aucune des éruptions de violence espérées à l'étranger.

Jusqu'à présent, en tout cas, le Hamas n'a pas provoqué de tels troubles, ni déclenché une guerre sur plusieurs fronts contre Israël alors que l'armée israélienne est immobilisée à Gaza. L'attaque aérienne iranienne du 13 avril contre Israël était agressive et dangereuse, mais limitée par les craintes des dirigeants iraniens à l'égard d'Israël et de ses amis américains et autres. Elle s'est soldée par un échec humiliant et n'a guère été la conflagration régionale écrasante qui aurait répondu aux prières du Hamas.

Il ne fait aucun doute que le Hamas et son protecteur iranien espéraient que l'attentat du 7 octobre mettrait un terme au mouvement de normalisation des relations entre les pays musulmans et Israël. Pourtant, l'Arabie saoudite semble avoir l'intention de reprendre sa diplomatie de normalisation après la défaite du Hamas par Israël (bien qu'elle puisse ne pas le faire si le Hamas est considéré comme ayant gagné cette guerre). Enfin, l'Indonésie serait en train de discuter avec Israël de l'ouverture de relations diplomatiques.

La cruelle réalité est que la production et l'exploitation des cadavres de Gaza constituent un aspect particulièrement réussi du plan de guerre du Hamas. Le Hamas est passé maître dans l'alchimie diplomatique qui convertit les cadavres de bébés gazaouis en un soutien mondial au régime qui a organisé la mort de ces bébés.

Cet élément du plan de guerre du Hamas fonctionne de manière impressionnante, en grande partie parce que le président Biden, exprimant sa détresse face aux pertes civiles de Gaza, soutient les demandes de cessez-le-feu qui donneraient la victoire au Hamas. Israël s'efforce d'éviter de causer de telles pertes, et le président Biden le sait. Israël agit ainsi pour des raisons humaines et parce qu'il comprend que le Hamas capitalise sur les pertes de non-combattants. M. Biden sait également que l'Amérique, si elle était provoquée de manière aussi horrible qu'Israël, n'arrêterait pas sa guerre contre un groupe terroriste à sa frontière tant qu'elle ne l'aurait pas complètement détruit. Pourtant, le président s'est laissé entraîner par la vague de voix exigeant un «cessez-le-feu immédiat ». En même temps, ses paroles fournissent une grande partie de l'énergie qui propulse cette vague.

Un cessez-le-feu ne mettrait pas longtemps les civils de Gaza à l'abri de la violence. Lors d'une interview télévisée en octobre 2023, Ghazi Hamad, haut responsable du Hamas, a déclaré que le massacre du 7 octobre n'était «que le premier, et qu'il y en aurait un deuxième, un troisième et un quatrième» parce que le Hamas s'est engagé à «recommencer encore et encore». Après chacune de ces attaques, le Hamas se cache à nouveau derrière les civils gazaouis. «Nous sommes fiers de sacrifier des martyrs », a ajouté M. Hamad. Par «martyrs », il entend les enfants, les femmes et les autres non-combattants palestiniens que les dirigeants du Hamas ont condamnés à leurs propres fins.

Certains réclament un cessez-le-feu immédiat pour mettre fin à ce qu'ils qualifient d'attaques aveugles de la part d'Israël. Ils évoquent les morts de civils et les bâtiments détruits.

Des actions inappropriées, par accident ou volontairement, se produisent dans toutes les guerres. L'armée israélienne a déjà admis de terribles erreurs qui ont entraîné la mort d'otages israéliens et du personnel de la World Central Kitchen. On peut s'attendre à ce que l'analyse de cas spécifiques permette d'établir d'autres actions inappropriées dans le cadre de cette campagne de guerre urbaine longue et complexe. Peut-être qu'un jour des enquêteurs bien informés concluront que l'armée israélienne aurait pu élaborer un plan militaire entièrement différent qui aurait fait moins de victimes parmi les non-combattants gazaouis. Dans ce cas, il y aura, comme il se doit, des comptes à rendre, comme cela a été le cas pour les planificateurs militaires d'autres démocraties qui ont conçu les nombreuses campagnes imparfaites d'autres guerres.

Des experts étrangers ont cependant déjà noté - ici et ici, par exemple - que la politique générale d'Israël à Gaza n'est pas seulement d'éviter de blesser des civils, mais de prendre des mesures pour minimiser ces dommages. Ils affirment que le nombre de victimes et de bâtiments détruits à Gaza n'est pas sans commune mesure avec les destructions causées par d'autres guerres urbaines, malgré l'étendue des tunnels et les efforts déterminés du Hamas pour maintenir les civils dans une situation dangereuse. Israël a rencontré d'horribles difficultés - et perdu des centaines de ses propres soldats - dans sa lutte contre les quelque 37.000 combattants du Hamas et du Jihad islamique palestinien à Gaza. Il est très douteux qu'il ait pu atteindre ses objectifs en évitant des destructions et des souffrances considérables au sein de la population.

Si les États-Unis peuvent aider Israël à réduire le nombre de morts civiles évitables, ils doivent évidemment le faire. Israël tient son peuple pour responsable de ses échecs, et les États-Unis peuvent l'encourager en prenant l'habitude de lui en donner crédit, comme l'a parfois fait le porte-parole de la Maison Blanche, John Kirby.

Il est dans l'intérêt de l'Amérique et du monde civilisé de rejeter le plan du Hamas qui consiste à assurer la souffrance des civils à Gaza, puis à tirer profit de cette souffrance. Permettre au Hamas de rester au pouvoir reviendrait à récompenser le plus grave des crimes de guerre. Cela ouvrirait la voie à davantage de barbarie, de la part du Hamas et d'autres. Cela entraînerait dans les années à venir un plus grand nombre de morts parmi les civils, et pas seulement parmi les habitants de Gaza, mais aussi dans les États arabes voisins et, bien sûr, en Israël.

Donner la victoire au Hamas serait une mauvaise politique et une mauvaise morale. Quiconque, comme le président Biden, conserve la foi en une «solution à deux États » israélo-palestinienne ne devrait pas vouloir protéger le Hamas, et encore moins aider Yahya Sinwar et ses autres dirigeants à étendre le contrôle du Hamas à la Cisjordanie. En outre, comme l'a montré l'attaque aérienne iranienne du 13 avril, le massacre du 7 octobre par le Hamas n'était pas un événement isolé, impliquant uniquement Israël et les Palestiniens, mais s'inscrivait dans une stratégie iranienne plus large visant à utiliser des forces supplétives pour accroître le pouvoir de Téhéran dans tout le Moyen-Orient. En d'autres termes, si le Hamas gagne, l'Iran gagne. Les États-Unis, Israël et les ennemis arabes de l'Iran en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, à Bahreïn, en Jordanie, en Égypte et ailleurs seraient alors perdants.

Le président Biden peut faire progresser les intérêts stratégiques et moraux des États-Unis, renforcer le droit de la guerre et sauvegarder les intérêts humanitaires des habitants de Gaza en renforçant le soutien des États-Unis à l'élimination des capacités militaires et administratives du Hamas. Cela implique de fournir à Israël un soutien diplomatique inébranlable ainsi qu'une aide et des équipements militaires en temps voulu. Le président devrait réengager les États-Unis dans la destruction du Hamas, et non dans un cessez-le-feu prématuré.

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Références :

Humanitarians Should Want Hamas’s Human-Sacrifice Strategy to Fail, traduction Le Bloc-note

par Douglas J. Feith et Lewis Libby Commentary 19 04 2024

Douglas J. Feith est chercheur principal à l'Institut Hudson. Il écrit et donne des conférences sur le terrorisme, le contrôle des armements, les relations avec les alliances, l'élaboration de la politique de sécurité nationale et la relation entre la politique et le renseignement.

M. Libby est un chercheur émérite de l'Institut Hudson et a été chef de cabinet et conseiller à la sécurité nationale du vice-président Dick Cheney.