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8 avr. 2024

Le cercle de « feu » de l’Iran, par le général Yaakov Amidror

L'Iran a passé des années à élaborer une doctrine de combat contre Israël dans laquelle ses mandataires encerclent et attaquent Israël sans qu'il soit ostensiblement impliqué dans ces opérations.

 

Yaakov Amidror

L'assassinat d'un officier supérieur du CGRI à Damas montre clairement à l'Iran que cette stratégie ne lui donne pas l'immunité et que s'il intensifie ses actions contre Israël, tout Iranien sera une cible légitime.

Au fil des ans, l'Iran a élaboré une stratégie "intelligente" pour sa guerre contre Israël. Cette stratégie comporte deux volets principaux :

1. Une capacité nucléaire militaire servant de parapluie pour garantir que les actions qui lui seraient hostiles ne seront pas possibles. Téhéran sera donc en mesure de poursuivre et même d'étendre ses activités agressives dans toute la région, principalement contre Israël, mais aussi contre les États-Unis.

2. Un "cercle de feu" entourant Israël avec le Hezbollah au Liban, le Hamas et le Jihad islamique à Gaza, et les milices étrangères en Syrie. Le commandant assassiné de la Force Qods du CGRI, Qassem Soleimani, rêvait également de construire une capacité iranienne indépendante en Syrie, mais les opérations israéliennes menées depuis une douzaine d'années ont rendu impossible la réalisation complète de ce rêve. La ceinture de feu a également des composantes plus éloignées : les Houthis au Yémen et les milices pro-iraniennes en Irak. Le principe directeur de la ceinture de feu est clair : l'Iran reste distant et ostensiblement non impliqué, car il n'a aucune responsabilité directe dans les actions de ces éléments, et il n'y a aucun moyen de prouver qu'il est "la main qui fait trembler le berceau". L'Iran est comme une pieuvre dont le centre et le cerveau ne sont pas responsables des actions de ses longs bras - et il n'y a donc aucune possibilité légitime d'agir contre lui avec une force manifeste.

Un signal fort pour l'Iran

L'ensemble des forces que l'Iran a constituées de toutes parts s'avère difficile à gérer pour Israël. Par conséquent, l'élimination totale de la puissance militaire du Hamas et du Djihad islamique à Gaza est de la plus haute importance pour faire comprendre à la pieuvre et à ses mandataires que le franchissement des lignes rouges conduira Israël à des actions drastiques. Comme les éléments de la "ceinture de feu" sont proches d'Israël, cela lui permet d'utiliser toute sa force militaire contre eux. Mais même si Israël réussit à minimiser la capacité de l'Iran à faire opérer ses mandataires à Gaza (et pour ce faire, les FDI devront entrer dans Rafah et démanteler les quatre bataillons du Hamas qui s'y trouvent), l'Iran restera en dehors du jeu. Il n'aura pas payé de prix et restera distant et protégé. Le principe sera préservé.

L'opération de Damas fait comprendre à l'Iran qu'il ne sera pas toujours à l'abri et que s'il intensifie ses actions contre Israël, tout Iranien qui s'approchera d'Israël sera une cible légitime. L'attaque du bâtiment voisin de l'ambassade d'Iran à Damas, que les Iraniens appellent "consulat" (je ne sais pas si c'est vrai ou si c'est un bluff iranien de plus. Aucun diplomate n'était présent lors du bombardement), est un signal fort envoyé à l'Iran pour lui signifier que ses actions continuelles rapprochent Israël d'une attaque directe contre lui. L'opération menée contre un haut responsable du CGRI [Gardiens de la Révolution] dans la zone la plus proche de l'ambassade iranienne, une zone considérée comme un territoire iranien à Damas, comme n'importe quelle ambassade dans le monde, est un signal d'avertissement pour l'Iran qui va au-delà de l'importance des commandants de haut rang qu'il a perdus.

La frappe a tué des commandants iraniens de haut rang ayant une grande expérience des opérations. Cela n'entraînera pas l'effondrement des Gardiens de la révolution, mais il leur sera plus difficile d'opérer dans l'arène du pourtour d'Israël. Il sera intéressant de voir si l'Iran sera en mesure de trouver des remplaçants adéquats pour les commandants assassinés. Jusqu'à présent, l'Iran n'a pas de bons antécédents. à ce jour, Téhéran n'a pas trouvé de remplaçant adéquat pour Qassem Soleimani, tout comme le Hezbollah n'a pas trouvé de remplaçant pour Imad Mughniyeh.

Israël doit tenir compte du fait que les Iraniens déploieront des efforts considérables pour trouver une cible appropriée à leur vengeance. Selon moi, ils n'intensifieront pas les combats au Liban, car ils n'ont apparemment aucun intérêt à entrer dans une guerre majeure dans laquelle le Hezbollah subirait des dommages importants (certainement lorsqu'il leur apparaîtra clairement que la composante Gaza de la "ceinture de feu" est en train d'être démantelée). À mon avis, ils chercheront une cible douloureuse et isolée qui ne conduira pas à une escalade régionale, mais qui prélèvera un tribut cruel. L'attentat à la bombe contre l'ambassade d'Israël en Argentine en 1992, après l'élimination du secrétaire général du Hezbollah, Abbas Musawi (qui a précédé Hassan Nasrallah), est un exemple approprié tiré de l'histoire.

L'opération à Damas doit être comprise dans le contexte de la lutte directe qui se dessine entre Israël et l'Iran. En l'occurrence, les dommages infligés constituent un élément essentiel de la stratégie iranienne. Ils mettent l'Iran à distance, ils éprouvent sa capacité à se soustraire à la responsabilité des actions de ses représentants dans la région sous prétexte qu'il n'est pas directement impliqué. L'opération ne modifiera pas sa stratégie de longue date, mais elle rendra difficile la poursuite de sa mise en œuvre. L'Iran, pour sa part, fera tout ce qui est en son pouvoir pour surmonter cette difficulté et poursuivre ses opérations agressives qui se sont intensifiées pendant la guerre de Gaza.

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Références :

Iran’s ‘Ring of Fire’  traduction Le Bloc-note

Général de division (res.) Yaakov Amidror, Jerusalem Institute for Strategy and Security, le 8 avril 2024

Le général de division (res) Yaakov Amidror a été conseiller à la sécurité nationale d'Israël et a occupé des postes de haut niveau au sein des forces de défense israéliennes. Il est membre éminent du Jewish Institute for National Security of America's Gemunder Center et Rosshandler Fellow au Jerusalem Institute for Strategy and Security. Il a publié trois ouvrages sur le renseignement et la stratégie militaire.