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10 avr. 2024

Israël a-t-il capitulé devant les pressions de la Maison Blanche ? C’est ce que pense surement l’Iran, par Richard Goldberg

A peine 72 heures après la menace du président Biden de couper le soutien des États-Unis à Israël, l'armée israélienne a marqué le sixième anniversaire du massacre du 7 octobre en annonçant le retrait de ses forces du sud de la bande de Gaza.

Richard Goldberg

Les responsables israéliens insistent toutefois sur le besoin de la plus grande division de l'armée israélienne, y compris les commandos, de se reposer après quatre mois de combats intenses dans la deuxième ville de Gaza, Khan Younis, et qu'elle en a bien besoin.

Mais qu'il s'agisse d'une réinitialisation stratégique sous la contrainte américaine ou d'un réalignement tactique en vue d'une éventuelle opération terrestre visant à détruire les quatre bataillons restants du Hamas dans la ville de Rafah, à l'extrême sud de Gaza, ce qui devrait le plus inquiéter Jérusalem, c'est la façon dont ses ennemis perçoivent ses actions, de Téhéran à Beyrouth en passant par les tunnels sous Rafah où se cachent les dirigeants du Hamas.

Alors que le monde est accaparé par la frappe israélienne tragique et erronée de la semaine dernière sur un convoi d'aide de la World Central Kitchen, les responsables militaires et des services de renseignement israéliens sont focalisés sur le risque d'une escalade majeure avec l'Iran et le Hezbollah - deux ennemis dont le potentiel de destruction est bien plus important que celui de quatre bataillons du Hamas dans le sud de la bande de Gaza.

Israël ne peut se permettre de perdre le soutien militaire des États-Unis à un moment aussi critique.

L'Iran, principal État soutenant le terrorisme dans le monde, a tiré les ficelles de tous les incendies allumés au Moyen-Orient bien avant le 7 octobre et continue d'orchestrer des attaques quotidiennes contre Israël depuis le sud du Liban, la Syrie, l'Irak, le Yémen et la Cisjordanie.

Téhéran a utilisé ces six derniers mois d'escalade régionale comme couverture pour faire avancer son programme d'armement nucléaire, en pariant à juste titre qu'entre les inquiétudes liées à la réélection de Joe Biden et la guerre multi-fronts d'Israël, personne n'y prêterait attention.

La semaine dernière, Israël a éliminé de hauts responsables du Corps des gardiens de la révolution islamique réunis dans leur quartier général de Damas. Il s'agit du coup le plus dur porté à la coordination régionale de l'Iran en matière de terrorisme depuis l'assassinat de Qassem Soleimani.

L'Iran menaçant de riposter en lançant des missiles et des drones sur Israël - potentiellement depuis le territoire iranien - et Israël ayant besoin du soutien des États-Unis pour faire face à ce qui pourrait suivre, les désaccords tactiques à Gaza sont relégués au second plan par rapport aux menaces stratégiques de l'Iran.

Les responsables israéliens insistent sur le fait que le retrait de la 98e division israélienne a été planifié bien avant la tragédie du WCK. Ces soldats ont en effet besoin de se reposer et de se rééquiper - et les objectifs militaires à Khan Younis ont été atteints.

Les forces israéliennes conserveront le contrôle total du passage qui sépare le nord et le sud de la bande de Gaza, ce qui offre à Israël une rampe de lancement facile pour des opérations spéciales telles que le récent raid surprise contre les dirigeants du Hamas opérant à l'intérieur de l'hôpital Al-Shifa de la ville de Gaza.

Dans le même temps, Israël a besoin du soutien des États-Unis pour faire pression sur l'Égypte afin d'obtenir un nouvel accord de sécurité le long de la frontière de Gaza - y compris la fin de la contrebande dans les tunnels - et pour finaliser les plans d'évacuation des civils à Rafah avant toute opération terrestre future.

Les ajustements tactiques visant à apaiser la Maison Blanche n'indiquent pas nécessairement un changement des objectifs stratégiques.

Le problème pour Israël, cependant, est qu'au Moyen-Orient, la perception est la réalité.

Regardez l'échiquier du point de vue de Téhéran : M. Biden accorde à l'Iran une dérogation aux sanctions de 10 milliards de dollars et la libre circulation du pétrole vers la Chine, offre des carottes aux Houthis au Yémen dans un contexte d'attaques incessantes en mer Rouge et empêche Israël de mener des opérations militaires au Sud-Liban pour détruire les capacités du Hezbollah près de la frontière septentrionale de l'État hébreu.

Aujourd'hui, il s'agit d'une décision qui ressemble beaucoup à un renoncement à la destruction du Hamas à Gaza ?

Dans la mesure où Téhéran perçoit Israël comme un pays faible, entièrement dépendant des États-Unis pour l'exécution d'opérations militaires et sensible aux pressions américaines pour revenir sur ses promesses en matière de sécurité, l'ayatollah sera encouragé à lancer une escalade sur tous les fronts.

Cette perception rassurera également le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui estime qu'Israël n'a ni la volonté ni la capacité de riposter plus durement au Liban, malgré les attaques terroristes quotidiennes qui ont contraint 100.000 Israéliens à évacuer leurs maisons dans le nord du pays.

Et le plus tragique à admettre à l'occasion du sixième anniversaire de l'attaque, c'est qu'une telle perception rend moins probable le retour en Israël de tous les citoyens pris en otage par le Hamas, du moins pas sans donner à son chef, Yahya Sinwar, tout ce dont il a besoin pour reconstituer le pouvoir dans la bande de Gaza.

Ce que les dirigeants israéliens diront et feront dans les prochaines 48 heures importe plus que ce qu'ils ont dit et fait dans les dernières 48 heures.
  • Quelles assurances peuvent être données qu'Israël reste engagé dans une opération à Rafah et dans la destruction finale du Hamas ?
  • Quelles seront les conséquences promises si l'Iran attaque le territoire israélien dans les heures ou les jours à venir ?
  • Quelles opérations israéliennes seront menées - sur tous les fronts où l'Iran se bat - pour faire reculer Téhéran et ses mandataires ?
Et quelles mesures la Maison Blanche et le Congrès prendront-ils pour s'assurer que Téhéran croit que les États-Unis soutiennent toujours Israël ?
La réponse à ces questions déterminera le sort d'Israël, et non le moment choisi pour agir à Gaza.
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Références :

Richard Goldberg, New York Post, 7 avril 2024

Richard Goldberg, conseiller principal à la Foundation for Defense of Democracies, est un ancien fonctionnaire du Conseil de sécurité nationale et un conseiller principal du Sénat américain.