Biden
avait déjà décrit Poutine comme un assassin en répondant « je le pense » à la
question d’un journaliste d’ABC en mars 2021 qui lui demandait « pensez-vous
qu’il est un tueur ?» C’était tout au début de sa prise de fonctions.
Jean-Pierre Bensimon
En fait Biden donnait ce jour-là une information décisive. Au travers de sa formule injurieuse, il récusait en fait une demande de négociation de la Russie, centrée sur sa sécurité, et prioritairement sur le statut de l’Ukraine où une guerre n’en finissait plus depuis huit ans, depuis de grand retournement de Maïdan de février 2014.
Exactement
un an après, le 17 mars, suite à trois semaines d’intervention russe, Biden qualifiait
son homologue de « criminel de guerre » et il poursuivait le lendemain en en faisant
un "dictateur
meurtrier" et un "pur voyou".
Cette sémantique très
inhabituelle dans les relations entre grandes puissances nous donne des
informations précieuses sur la ligne politique du président américain et ses véritables
objectifs de guerre hic et nunc.
L’injure de 2021 signifiait
en réalité que l’Amérique ne reculerait pas d’un pouce sur le processus
d’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN et l’Union européenne. La décision avait
été prise au sommet de Bucarest en 2008, mais trop longtemps gelée sur la demande
expresse de François Hollande et d’Angela Merkel, soucieux d’éviter à l’Europe
une épreuve de force avec la Russie.
On ne comprend rien à ce cercle vicieux si l’on omet de déchiffrer correctement ce qui s’est passé entre le 30 novembre 2013 et le 24 février 2014 en Ukraine sous le sigle de « mouvement de Maïdan ». Le président de l’époque, Viktor Ianoukovitch, régulièrement élu, avait été renversé par des manifestations de rue et une décision inconstitutionnelle de la Rada [parlement] pour avoir préféré un accord d’association avec la Russie à une proposition parallèle de l’Union européenne. Le renversement était patronné par la CIA, sous l’autorité de la diplomate Victoria Nuland, une formidable organisatrice et experte en coups tordus (1), aujourd’hui en troisième place dans la hiérarchie diplomatique américaine. Après un effort de l’Oncle Sam de 5 milliards de dollars depuis 1991 pour assurer une évolution correcte de l’Ukraine, (c’est Mme Nuland qui parle), cette dernière se serait vantée d’avoir dépensé 200 millions de dollars pour se débarrasser du président élu. Les groupes néo –nazis ou assimilés, Svoboda, Patriotes d’Ukraine ou Pravii Sektor seront à la pointe des émeutes télécommandées. Il fallut bien les payer.
Depuis, l’Ukraine est une espèce de protectorat ou de
régence américaine. Avant même le renversement de Ianoukovich qui avait proposé
un gouvernement d’union en janvier 2014, la suzeraine américaine exerçait déjà son
droit de regard : (2)
"Le 4 février 2014, l’enregistrement d'un appel
téléphonique datant du 28 janvier 2014 entre Victoria Nuland et Geoffrey Pyatt, ambassadeur des
États-Unis en Ukraine, est publié sur YouTube. (…) durant cette conversation
avec l'ambassadeur américain, elle parle des protagonistes de la crise, et de
la formation du prochain gouvernement ukrainien, dans laquelle les États-Unis
auraient un droit de regard…"
Quelques années plus
tard, il a suffi d’une demande de Biden, fraichement émoulu dans son habit de
président, pour faire interdire par Zelenski, d’un claquement de doigts, trois
chaines de TV locales trop favorables aux pro-russes du pays:
"En février 2021, suivant les recommandations du Conseil national de Sécurité et de
Défense, il [Zelensky] interdit trois
chaînes de télévision accusées d’être des organes de propagande en faveur de la
Russie. (…). Cette décision intervient à la demande de l’administration américaine
du nouveau président Joe Biden dans un contexte de hausse des intentions de
vote pour les candidats prorusses." (3)
C'est ainsi que fonctionne un protectorat. Sur cette base, le tuteur
américain va former, armer et piloter la guerre contre les insurgés du Donbass
à partir de 2014, et cela pendant huit ans. C’est ainsi que l’Ukraine abordera
l’actuelle intervention russe, armée jusqu’aux dents et en symbiose avec la CIA
et l’armée américaine, bien présentes sur le terrain depuis des années à travers leurs
conseillers et leurs formateurs. Elle bénéficie aujourd’hui des moyens de renseignement radar et satellitaires US. Elle est assistée dans la cyberguerre. Elle est
massivement dotée de missiles anti-tanks Javelin, de drones et de missiles anti
hélicoptères Stinger, et même désormais de missiles antiaériens S300 de
conception russe livrés par des pays sollicités par Washington.
La révolution de
Maïdan n’était rien d’autre qu’un coup d’État américain. Elle était aussi le
premier acte de la montée aux extrêmes qui a conduit à la guerre cruelle qui se
déroule sous nos yeux. Et ce premier acte était américain.
Revenons aux injures
de Biden des derniers jours, un an après sa première salve. Les 16 et 17 mars, on l'a dit, il qualifie Poutine de «criminel de guerre » puis de "dictateur
meurtrier" et de "pur voyou".
Si les injures de
mars 2021 avaient été un message de non recevoir des demandes russes de
négociation de la sécurité en Europe, celles de mars 2022 sont un message de
rejet de toute solution négociée de la guerre en cours. De nombreux
observateurs considèrent qu’il n’y a aujourd’hui que trois voies possibles pour
la sortie de crise : la capitulation de l’Ukraine, la guerre sans limites permettant
de vaincre la Russie, ou la négociation. Comme les injures tonitruantes de
Biden excluent la négociation (on ne négocie pas avec des insultes), comme la
capitulation de l’Ukraine est exclue, reste la guerre jusqu’à la défaite de la Russie.
C’est pour cela que
Biden a organisé un système de sanctions sans pareil dans l’histoire, c’est
pour cela qu’il a mis en place un cordon sanitaire encore jamais vu (jusqu’à provoquer
le renvoi chez eux de malheureux athlètes russes lors des jeux paralympiques en
Chine), c’est pour cela qu’il a annoncé des trains de livraison d’armes étendus
aux drones et aux missiles anti aériens susceptibles de contester la
prééminence de la Russie dans les airs.
Biden a donc décidé de la guerre jusqu’au bout, d’une guerre jusqu’au-boutiste. Et en même temps il a exclu et il continue d’exclure toute intervention directe de ses armées au sol. En quoi consiste alors son pacte avec l’Ukraine ? Et bien l’Amérique fournira des armes et tous les moyens d’action indirects possibles contre la Russie. Et l’Ukraine fournira le terrain d’opération et les hommes, militaires comme civils. Il est prescrit à l’Ukraine de combattre jusqu’au dernier Ukrainien. Biden fera la guerre d’Ukraine jusqu’au dernier ukrainien, mais sans engager un seul de ses soldats. C'est qu'il a décidé d'éliminer la Russie comme force montante d'envergure internationale, susceptible d'entraver sa liberté d'action ou de lui damer le pion comme elle l'a fait en Syrie ou en Libye. C'est une situation de piège de Thucydide, Sparte fondant sur Athènes tant qu'il en est encore temps. La guerre en cours n'est pas un conflit entre les Ukrainiens et la Russie mais entre les Etats-Unis et la Russie sur le sol ukrainien. Et, dans l'univers stratégique et moral de M. Biden, c'est aux Ukrainiens seuls de payer la sanglante addition du plan américain.
Les arguments moraux
soulevés par les caciques américains devant les dommages causés aux Ukrainiens souffrent
d’insincérité. Les 140.000 morts des guerres de Yougoslavie ou les morts sans
nombre en Irak, des guerres menées sans plus de mandat international que
l’actuelle guerre de la Russie, ne sont que des échantillons de la force
brutale sont sont capables les armées américaines à l’étranger. L'oncle Sam n'a vraiment pas de leçon à
donner.
L’argument moral anti-Poutine
suscité par les horreurs de la guerre en cours, par le sort épouvantable fait à
une population innocente, tombe devant le cynisme sans équivalent d’un Biden prêt
à sacrifier jusqu’au dernier, toute une génération d’Ukrainiens et le
patrimoine qu’elle a édifié. Il est évident que seule compte la solution
négociée. Mais il faudra l’imposer à Biden et non pas l’attendre pendant que
les Ukrainiens tombent et que leur pays brûle. Emmanuel Macron, président du
Conseil européen est bien placé pour promouvoir cette solution, sans attendre
et à n’importe quel prix. Tout autre attitude, tout attentisme affecté, serait
un viol des principes moraux auxquels on se réfère aujourd’hui dans nos media jusqu’à
l’hystérie mais sans grande sincérité.
Jean-Pierre Bensimon
le 18 mars 2022
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